Lesotho
Jusqu'où peut-on aller pour nourrir sa famille ? Et qu'est-on prêt à accepter pour obtenir un travail ? Face à la pression sociale et économique qu’ils endurent, beaucoup d’hommes sont prêts à renoncer à leur vie pour contribuer au bien-être de leur famille.
Dans la tête des Hommes est allé à la rencontre des zama-zama, les mineurs lesothans qui sont contraints de s'expatrier et de rejoindre des carrières de mines d'or et de diamants en Afrique du Sud pour nourrir leur famille restée au pays.
Cependant, les femmes, tout comme les hommes, peuvent aussi être victimes de ces pressions. En France, des travailleurs invisibles ne veulent plus être oubliés. Là-bas, les femmes de chambre se sont réveillées et sont en grève depuis maintenant 18 mois. Une fois installées en France, elles doivent travailler et gagner leur vie. Leurs diplômes n'étant pas forcément reconnus, elles sont dans l'obligation de trouver des alternatives qui leur permettront de survivre et de subvenir aux besoins de leurs familles.
Mais, exerçant leur métier dans des conditions très difficiles, ces femmes sont conscientes d’être exploitées et revendiquent leurs droits.
Qu’ont-elles en commun avec les mineurs lesothan qui risquent leur vie en Afrique du Sud pour mettre du pain sur la table ?
Pour en débattre, nous accueillons, depuis Libreville, au Gabon, Jean-Emery Etoughe-Efe, sociologue gabonais et Tiziri Kandi, sociologue française et coordinatrice de la grève des femmes de chambre de l'hôtel Ibis Batignolles, près de Paris.
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Script complet de l’episode : Banna Ba Mamaenara au Lesotho - les anonymes
Arwa Barkallah : Bonjour et bienvenue à tous dans ce nouvel épisode consacré à la pression économique ressentie par les hommes et les femmes qui occupent des emplois plus ou moins pénibles. Comment se passe la répartition des tâches selon que l'on soit un homme ou une femme ? Jusqu'où peut-on aller ? Et qu'est-on prêt à accepter pour obtenir un travail ? Quelles limites sommes-nous prêts à franchir ou non ?
"Dans la tête des Hommes" est allé à la rencontre des zama-zama, les mineurs lesothans, contraints de s'expatrier et de rejoindre des carrières de mines d'or et de diamants en Afrique du Sud pour nourrir leur famille restée au pays.
Qu'est-ce qui pousse ces mineurs à se mettre en danger pour nourrir leur famille, souvent au péril de leur vie ?
Pour en débattre, nous accueillons, depuis Libreville, au Gabon, Jean-Emery Etoughe-Efe. Sociologue et essayiste au Centre national de la recherche scientifique et technologique du Gabon, il a écrit de nombreux ouvrages liés au salariat, c'est-à-dire les relations sociales et économiques existant entre un patron et ses salariés en Afrique subsaharienne, de la restauration informelle à la condition des travailleurs dans le secteur primaire et tertiaire.
Tiziri Kandi, sociologue française et coordinatrice de la grève des femmes de chambre de l'hôtel Ibis Batignolles, près de Paris, participe également à ce débat.
Cette grève dure depuis maintenant 18 mois.
Dans les épisodes précédents, nous avons fait la rencontre de mineurs qui ont vu leurs aspirations changer en raison des pressions sociales et économiques, mais aussi de la pauvreté qui les a contraints à se rendre clandestinement en Afrique du Sud pour travailler dans les mines.
Arwa Barkallah : Jean-Emery Ethoughe-Efe, comment se manifeste cette pression économique sur le marché du travail en Afrique subsaharienne, selon que l'on soit un homme ou une femme ?
Jean-Emery Etoughe-Efe : Ce sont les hommes qui doivent rapporter l'argent à la maison et les femmes ont, elles, pour tâche de faire le ménage. Traditionnellement, c'est cette image de l'homme qui est renvoyée. L'homme est le chef, il voit tout , il est le tuteur du foyer. Donc, c'est à lui qu'incombent les responsabilités. Par conséquent, quand le salariat est arrivé, ce sont les hommes que l'on a recrutés.
Les hommes ont rejoint les chantiers et revenaient ensuite chercher les femmes. Ces dernières n'ont donc eu droit à un salaire que plus tard. Cela s'explique par des raisons économiques, mais aussi par la situation familiale propre à chacune d'entre elles. Tant qu'une femme vit sous le toit d'un homme, elle n'a pas cette obligation de chercher du travail. Il n'y a pas cette image qu'elle risque de renvoyer à la société, à savoir que si elle n'a pas de travail, elle ne vaut rien, elle n'existe pas et que sans mari, elle n'est rien.
Cela va donc pousser les femmes à s'émanciper et à aller chercher du travail. Chez nous, une expression populaire dit :"Le travail est mon premier mari". Donc, en fait, la femme, aujourd'hui, ne doit plus compter sur l'homme. Elle doit compter sur elle-même et pour le faire, il faut qu'elle soit autonome économiquement. Par conséquent, la pression exercée sur les hommes prioritairement s'exerce désormais aussi sur les femmes et sur la base d’autres considérations.
Il existe effectivement une pression économique qui s'abat sur les femmes qui sont, par exemple, les premières à être licenciées.
Arwa Barkallah : Cela a été le cas également avec l'épidémie de Covid-19, il me semble. Cela a même été constaté aux Etats-Unis. Les femmes faisaient l'objet de beaucoup plus de licenciements que les hommes.
Jean-Emery Etoughe-Efe : Chez nous, au Gabon, les femmes occupent principalement des postes dans la restauration, les boîtes de nuit, les hôtels et tout ce qui concerne l'événementiel. Or, la Covid-19, le confinement, etc. font mourir ces secteurs d'activité.
Je vis au Gabon et je constate que tous les métiers faits principalement par des femmes, sont en train de mourir.
Arwa Barkallah : Tiziri Kandi vous soutenez les femmes de chambre en grève, à Batignolles et ailleurs, et aussi les mineurs Lesothans. Ces derniers sont confrontés à des conditions de travail dangereuses et prennent des risques pour nourrir leur famille. Dans quelle mesure les femmes de chambre sont-elles confrontées à ces problématiques de pression économique ? Rappelons peut-être les revendications de ces femmes.
Tiziri Kandi : Les femmes de chambre, de manière générale ici en France, subissent des pressions, principalement économiques, assez difficiles, pour ne pas dire atroces. On parle, y compris dans les médias, de situations d'esclavage moderne dans l'hôtellerie, et ce, quel que soit le standing de l'établissement. Mais il me semble que le point de départ important à définir pour étudier ensuite tout cet ensemble de conditions de travail lamentables, est le type de population qui exerce ces métiers.
Vous dites vous-même, et à juste titre, que c'est une population très majoritairement féminine et très majoritairement immigrée ou issue de l'immigration. On peut lire dans les colonnes des différents journaux qu'il s'agit de “mamas africaines”. Les postes de femme de chambre sont en général occupés par des mères seules ayant bien souvent des enfants en bas âge et habitant en banlieue.
Il faut savoir que, quand on parle de femmes immigrées ou issues de l'immigration, on évoque des personnes qui sont déjà soumises à une pression administrative incroyable liée à leur situation de séjour. Ces femmes sont en possession de titres de séjour qu'elles doivent régulièrement renouveler.
Donc, il y a une pression administrative liée au séjour et une pression sociale liée à une situation familiale très difficile. J'ajouterai à cela que l’on peut distinguer principalement deux traits majeurs : soit des femmes non qualifiées, soit des femmes dont les qualifications ne sont pas reconnues. On a des cas de femmes de chambre, par exemple, qui disent que dans leur pays d'origine, elles travaillaient dans l'administration.
Elles étaient chargées de mission où elles travaillaient dans des mairies, etc. Mais une fois arrivées en France, ces femmes acceptent des boulots alimentaires parce qu'elles n'ont pas d'autre choix si elles veulent remplir leur frigo et nourrir leurs enfants. Parallèlement, leurs diplômes ne sont pas reconnus. Donc tout ça, effectivement, oblige les femmes à s'inscrire sur le marché de l'emploi et les premiers boulots qui s'offrent à elle sont effectivement ceux de femme de ménage, femme de chambre, etc.
Il s'agit de professions très souvent dévalorisées et non reconnues.
Il existe ce qui semble être un débat linguistique autour des termes "femme de chambre" ou/et "femme de ménage". Alors qu'en réalité, nous, par exemple, dans le secteur de l'hôtellerie, nous parlons de femme de chambre, car ces femmes réalisent une prestation entière, une remise en état de la chambre. Elles ne se contentent pas de passer la serpillière et ne sont donc pas femmes de ménage.
Ces femmes s'inscrivent sur le marché de l'emploi et acceptent le premier job qu'on leur propose.
Ce sont des boulots de femme de chambre, femme de ménage, caissière, etc. Donc des emplois très largement féminisés et dévalorisés, mal rémunérés, etc. Mais qu'elles n'ont pas d'autre choix que d'accepter. Très souvent, quand on les interroge sur le biais par lequel elles ont intégré le marché de l'emploi, on se rend compte que les recrutements se font généralement par le bouche à oreille, via le réseau familial, les amis, etc.
On est loin des méthodes de recrutement “traditionnelles” qui passent par des entretiens préalables de sélection, etc. Là, on va simplement demander à la femme de chambre si elle a une cousine ou une amie qui peut dépanner. Elle va venir, faire une petite semaine d'essai et si elle fait l'affaire, elle est engagée et bien souvent pour un salaire de misère.
Tout cet ensemble de précarité devient une motivation de plus pour embaucher ces personnes-là. Ne savoir ni lire ni écrire devient un atout de recrutement. Cela veut dire entre guillemets : "Moins tu connais tes droits, plus tu es susceptible d'être accepté et recruté". Les raisons du recrutement deviennent ensuite une manière d'entretenir cette précarité. Avec effectivement tout ce qui est mis en place en termes de rémunération, de déduction sur les cotisations sociales de ces salariés, d'aides sociales, de cadence de travail, de mutations arbitraires, de flexibilité à outrance, etc.
Arwa Barkallah : Oui, c'est justement l'identité par le métier. On sait très bien que ces métiers sont occupés par des femmes et le fait qu'elles mettent en avant le fait qu'elles sont des femmes de chambre et non pas des femmes de ménage, c'est une question de vocabulaire et d'identité.
Tiziri Kandi : Pour elle, ce n'est pas du tout un débat linguistique. Il y a même un très grand nombre d'entre elles qui n'a même pas accès à la langue française. Elle ne parle que les langues locales, maliennes, mauritaniennes, etc. Et d'ailleurs, ça, c'est un outil de lutte. C'est intéressant de voir comment l'oppressé se sert d'une langue,on discutera après de comment l'oppressé se sert effectivement d'une langue que ne maîtrise pas l'oppresseur pour effectivement construire ensuite les mobilisations, puisque les langues parlées par ces femmes de chambre, c'est leur langue maternelle, de leur pays natal ou de leur pays d'origine. Et cette langue-là va leur servir effectivement à se mobiliser, à construire des solidarités et d'une certaine manière, à construire la lutte au vu de l'employeur puisqu'elles parlent une langue qu'il ne comprend pas.
Pour elle, l'enjeu n'est pas forcément, simplement, d'être appelée femme de ménage à la place de femme de chambre ou inversement. Pour elle, l'enjeu est matériel. L'enjeu, c'est celui de la reconnaissance du travail qui passe par le salaire. C'est-à- dire qu'une femme de ménage n'est pas payée de la même manière qu'une femme de chambre. Il y a tout un enjeu en termes de classification et de fait, en termes de salaire.
Arwa Barkallah : A travers ce que nous dit Tiziri Kandi, ce qu'on constate, c'est que les hôtels dépendent de ces femmes-là pour pouvoir louer les chambres. En Afrique subsaharienne, on a, à travers la restauration informelle, des entreprises qui dépendent aussi de ces femmes qui travaillent dans ce secteur pour le confort des salariés, l'intérêt des travailleurs qui travaillent dans les entreprises ou sur les chantiers.
Jean-Emery Etoughe-Efe : Oui, effectivement, dans la plupart des chantiers de construction ou même des entreprises des zones industrielles, ici, ce sont les femmes qui viennent faire la restauration informelle pour les employés qui ont une heure de pause et qui ne peuvent pas rentrer chez eux car ils habitent en banlieue. Donc, ces femmes-là viennent en soutien aux entreprises, mais il ne s'agit pas d'un soutien formel, elles se mettent en marge de l’entreprise.
Ce sont des lieux que tout le monde connaît, qui n'ont pas d'existence légale, mais qui, effectivement, aident la plupart des travailleurs à venir se restaurer et à repartir au travail sans que l'entreprise ne leur apporte quelque secours que ce soit, quelque confort que ce soit. Effectivement, il y a une invisibilité, car on connaît ces femmes, mais pas officiellement. Elles viennent travailler, elles viennent servir à manger et une fois qu'elles ont terminé, elles rentrent chez elles avant de revenir le lendemain.
Il n'y a aucune garantie qu'elles seront reconnues. Elles viennent là pour, dans un premier temps, faire du commerce et dans un deuxième temps aider les ouvriers à tenir la journée.
Arwa Barkallah : Et autour de ces repas, c'est l'occasion pour les hommes de parler par exemple des conditions de travail justement ?
Jean-Emery Etoughe-Efe : Comme on le disait concernant les femmes de chambre et la langue, c'est l'occasion pour les catégories sociales de se retrouver à table pour parler des conditions de travail dans leur entreprise. Car les salariés n'ont pas le droit de s'arrêter et de discuter. C'est donc le moment où ils structurent leur lutte et leurs revendications et c'est à ce moment-là aussi qu’ils peuvent prendre des initiatives pour mener telle ou telle action. Le repas est vraiment l'endroit et le moment, en temps réel, hors temps de travail, où les stratégies et peut-être même les plans d'action s’élaborent.
Arwa Barkallah : J'aimerais savoir aussi si c'est un moyen de parler également d'autre chose, de la pression économique par exemple, du fait que là, c'est un petit peu plus difficile.
Jean-Emery Etoughe-Efe : En fait, ce sont les seules tribunes où les travailleurs peuvent manifester leurs impressions sur leurs conditions de vie, de travail et économiques.
Une fois sorti de là, chacun rentre chez soi et étant donné qu'ils n'habitent pas les mêmes banlieues, ils n'ont pas le temps de se retrouver autrement. Se retrouver au travail leur permet de discuter, d'échanger et de trouver des stratégies.
Les restaurants informels et les bars sont des réseaux de communication, d'embauche, mais aussi parentélaires.
Arwa Barkallah : Cela rejoint également ce qu'on a vu dans le documentaire audio, puisque les zama zama essayent de passer par le bouche à oreille pour trouver du travail. Nous allons conclure là-dessus pour cette première partie.
Rendez-vous dans 15 jours pour poursuivre ce débat sur l'identité par le travail.
Production de cette émission : Arwa Barkallah, Lillo Montalto Monella, Marta Rodriguez Martinez, Naira Davlashyan, Mame Peya Diaw, à Lyon, France.
Lory Martinez à Paris, France.
Clizia Sala à Londres, Royaume-Uni.
Production et conception : Studio Ochenta.
Thème : Gabriel Dalmasso.
Redacteur en chef : Yasir Khan.
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