Droits des femmes
La campagne #MeToo a donné davantage confiance aux femmes, essentiellement occidentales, pour dénoncer les violences sexuelles et sexistes. Mais en Afrique, le sentiment de honte et les reproches adressées aux victimes les ont largement maintenues silencieuses.
Dans des sociétés férocement patriarcales, où la religion et la tradition définissent le rôle des femmes, le simple fait de dénoncer des violences domestiques est si difficile qu’on n’envisage même pas de faire tomber des hommes de pouvoir, comme l’a permis #MeToo.
Tout en affichant une belle assurance mais en demandant à rester anonyme, une psychologue de 40 ans vivant au Kenya, a raconté à l’AFP avoir été stupéfaite quand un de ses anciens petits amis l’a giflée devant sa famille à lui.
Leur réaction a été de dire qu’il avait un “tempérament bouillant”. Plus tard, à sa grande surprise, cinq de ses proches amies lui ont confié avoir été maltraitées par leurs compagnons.
Elle se demande comment “interagir” avec le mouvement #MeToo quand de tels comportements sont considérés comme normaux et “que nous n’en parlons pas”.
Comme d’autres Africaines interrogées par l’AFP, elle estime que #MeToo a déclenché plus de discussions sur les droits des femmes et amené à plus partager des histoires d’agression sexuelle, mais essentiellement en privé.
“Les reproches sont toujours adressés à la femme: c’est sa faute, sa façon de s’habiller, de parler, ou bien il faut lui donner une leçon parce qu’elle est trop forte”, remarque la psychologue.
“Ce ne sont pas seulement les hommes qui pensent de cette manière, mais aussi les femmes”, regrette-t-elle.
“Preuve d’amour ?”
Malgré tout, dans l’année qui s’est écoulée depuis la naissance de #MeToo, il y a eu quelques cas lors desquels les femmes ont refusé de rester silencieuses.
En mars en Ouganda, des femmes en colère se sont servies de Twitter pour demander la démission du député Onesmus Twinamasiko, qui dans une interview télévisée avait encouragé les hommes à frapper leurs épouses pour les “punir”.
“Oui, il faut les corriger un peu, c’est même une preuve d’amour”, avait-il déclaré. Il s‘était ensuite excusé, et ses propos n’avaient eu aucune conséquence pour lui.
Un rapport gouvernemental publié en Ouganda en 2016 avait établi que 20% des femmes âgées de 14 à 49 ans avaient été victimes dans l’année écoulée de violences physiques ou sexuelles.
Quand la députée Sylvia Rwabwogo a porté plainte contre un homme qui l’avait harcelée pendant huit mois, et qui a été condamné en juin à deux ans de prison, elle a été vivement critiquée par des Ougandais qui ont exprimé leur sympathie pour l‘étudiant “énamouré”.
Ces derniers mois ont tout de même vu une hausse des cas rapportés d’abus dans des universités en Ouganda, au Kenya, ou au Nigeria, où des enseignants ont tenté de forcer des filles à des relations sexuelles en échange de meilleures notes.
En Ouganda, cela a débouché cette année sur plusieurs suspensions. En Sierra Leone, 71 personnes soupçonnées de “mauvaises pratiques” lors de l‘évaluation des résultats de l‘équivalent du bac ont été arrêtées en septembre.
“Bonnes notes”
Une étudiante en deuxième année à Freetown a expliqué à l’AFP, sous couvert de l’anonymat, qu’un de ses professeurs de sciences lui avait proposé l’an dernier “des relations sexuelles contre une note favorable”.
Un rapport sur la sécurité des filles et jeunes femmes publié cette semaine par l’ONG Plan international classe quatre capitales africaines, Johannesbourg, Kampala, Nairobi et Bamako, parmi les cinq villes au monde présentant le plus de risques d’agression sexuelle et de viol.
Wangechi Wachira, qui dirige le Centre for Rights Education and Awareness (Creaw), une ONG kényane œuvrant à la défense des droits des femmes, estime que si #MeToo parle aux femmes africaines, beaucoup ont été dissuadées de porter plainte par une justice indifférente à leur détresse.
“Le système dans son ensemble qui devrait vous soutenir essaie juste de vous traumatiser encore plus”, déplore-t-elle, observant que dans la plupart des lieux de travail, rien n’est prévu pour traiter des plaintes liées au harcèlement sexuel.
Pour Monica Godiva Akullo, une avocate et activiste ougandaise, les défis auxquels sont confrontées les Africaines restent valables ailleurs aussi, quand bien même #MeToo a été lancé par des “femmes riches et célèbres”.
Elle fait référence aux moqueries adressées lors d’un meeting par le président américain Donald Trump à l’attention de Christine Blasey Ford, qui accuse d’agression sexuelle le juge Brett Kavanaugh, candidat à la Cour suprême.
“De l’Ouganda aux Etats-Unis, nos sociétés ne croient toujours pas les femmes”, remarque l’avocate.
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