Maroc
Dans le Kabareh Cheikhats, le Cabaret des chanteuses populaires depuis 2016, ce collectif de chanteurs, comédiens et danseurs coiffés de perruques et vêtus de caftans bariolés, ressuscitent, en dépassant les notions de genre, des classiques de l'Aïta, un art musical marocain tombé en désuétude. De retour d'une tournée aux Etats-Unis, accompagnée d'un ensemble traditionnel, la troupe a fait danser une salle comble à Rabat, l'initiant aux mélopées de l'Aïta.
Kabareh Cheikhats, c'est avant tout du plaisir, ils sont entre neuf et dix hommes, parfois même 18. Le public monte aussi sur la scène. C'est un spectacle réaliste, où il y a des hommes qui jouent le rôle de Cheikhats devant des gens qui connaissent bien le spectacle explique Ghassan El Hakim, fondateur de Kabareh Cheikhats.
À mi-chemin entre théâtre et tour de chant, la troupe cartographie, d'une région à l'autre du Maroc, les variétés de cette musique, jadis très populaire dans les campagnes. Le tempo est donné avec une aïta jabalia, un air du nord du pays, avant une escale dans l'ancienne capitale de Fès, une autre à Rabat puis dans les plaines fertiles de Doukkala-Abda, fief de cette musique.
C'est un spectacle qui ne suit pas les codes théâtraux classiques. Il y a des hommes qui se déguisent en direct, en Cheikhats. Aujourd'hui, je peux choisir d'être le Cheikhate "Tabaa", ou Amine peut choisir d'être le Cheikhate Tabaa, ou je peux simplement mener le rythme et devenir un chef d'orchestre, diriger la musique"
Ces chants festifs avaient acquis leurs lettres de noblesse à la fin du 19e siècle, sous le règne du sultan Hassan Ier. Les cheikhates, figures respectées et adulées, étaient invitées dans les grandes réceptions et à l'occasion des fêtes nationales jusque dans les années 1990. Puis les mutations socio-culturelles au Maroc ont fait tomber de leur piédestal les divas de l'aïta.
_Dans le spectacle, nous n'avons rien inventé. On ne fait que revisiter des choses qui existaient déjà dans la société. On rappelle aux gens, en leur disant : vos parents et grands parents dansaient comme ces gens, dans le contexte approprié. Ils n'ont pas passé leur vie à danser. Ils travaillaient, s'occupaient de leurs enfants et de leur famille. Mais dès qu'ils en avaient l'occasion, ils venaient pour s'amuser, pour s'amuser, pour apprendre ; les gens avaient l'habitude d'apprendre des Cheikhats par la conversation. Certains avaient vécu par les mots des Cheikhats, des mots exprimés par les Cheikhats qui restaient dans leur tête, comme une devise, beaucoup de gens vivaient par cela,_souligne un des comédiens, Amine Naouni.
Si Kabareh Cheikhats ne reçoit que de bonnes vibrations lors des spectacles, sur les réseaux sociaux, c'est une autre histoire. Ils essuient des critiques. Mais pour Ghassan El Hakim et ses complices, les frontières entre les genres sont poreuses. Ils ne croient pas dans des genres figés et normés.
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