Kenya
Révision constitutionnelle en suspens, alliances politiques mouvantes: à mois d'un an de l'élection présidentielle kényane prévue le 9 août 2022, le scrutin reste entouré de la plus grande incertitude.
La Cour d'Appel du Kenya a mis vendredi un coup d'arrêt au BBI ("Building Bridges Initiative"), projet de révision constitutionnelle qui était l'épicentre des débats politiques depuis 2018. Les juges ont estimé que le président Uhuru Kenyatta, à l'origine de cette révision, n'avait pas constitutionnellement le droit d'initier un tel processus.
Ce texte prévoit de modifier le régime présidentiel actuel en créant notamment de nouveaux postes dans l'exécutif (un Premier ministre, deux vice-Premiers ministres, un leader de l'opposition) et en augmentant le nombre de parlementaires (de 290 à 360).
Selon Kenyatta, cette ouverture du pouvoir permettrait de diluer la règle du "vainqueur rafle tout", qu'il considère comme la cause des conflits post-électoraux. Mais ses détracteurs y voient une manœuvre du chef de l'Etat, qui n'est pas autorisé à se présenter pour un troisième mandat, pour se maintenir au pouvoir en tant que Premier ministre.
La décision de la Cour d'appel a rebattu les cartes. Si un recours devant la Cour Suprême reste envisageable, un redécoupage électoral et la création de postes exécutifs avant le scrutin est impossible.
Des alliances chamboulées ?
Le BBI concrétisait une trêve entre le président Kenyatta et l'opposant historique Raila Odinga après les violences post-électorales de 2017-2018.Pour beaucoup d'observateurs, elle s'est transformée en un pacte de partage du pouvoir pour 2022, Odinga briguant la présidence, soutenu par le parti du président Kenyatta, qui pourrait devenir son Premier ministre.Cette alliance se fait au détriment du vice-président William Ruto, que Kenyatta avait initialement adoubé pour l'élection de 2022.
D'abord implicite, la rupture est désormais claire. Dans une interview lundi, le chef de l'Etat a mis au défi son vice-président de démissionner "s'il n'est pas content".
Mais l'arrêt du BBI peut fragiliser la coalition Kenyatta-Odinga. "La grande question sera: l'alliance qui se construit autour d'Odinga pourra-t-elle tenir en l'absence du BBI ? Quels postes devront être offerts aux gens pour qu'ils sacrifient leurs ambitions présidentielles et se rangent derrière Odinga ?", souligne Nic Cheeseman, professeur à l'université de Birmingham (Royaume-Uni).
William Ruto s'est félicité de cette décision judiciaire qui bénéficie au "mwananchi" (simple citoyen) du petit peuple, dont il s'est fait le héraut face à Kenyatta et Odinga, issus des "dynasties" politiques kényanes.
Un facteur ethnique moins présent
L'appartenance ethnique, puissant déterminant du vote dans ce pays aux 44 tribus, pourrait moins peser dans le scrutin de 2022, estiment des experts.
"Nous allons voir un changement en ce qui concerne les alignements politiques sur les appartenances tribales. Ça restera dans les discussions, mais ça ne sera pas la discussion principale", prédit l'analyste politique kényane Nerima Wako-Ojiwa. "Les jeunes ne se reconnaissent pas nécessairement dans les rhétoriques tribales utilisées dans le passé", ajoute-t-elle, rappelant que six millions de jeunes supplémentaires sont en âge de voter par rapport à 2017. "Il y a une bataille pour savoir qui va attirer ces nouveaux électeurs" a t-elle ajouté.
Face à l'alliance des deux principales ethnies du pays entre Kenyatta le Kikuyu et Odinga le Luo, William Ruto se pose en défenseur des "débrouillards" venus de la rue. "Ruto essaie de mobiliser au-delà des lignes ethniques. Il utilise le discours sur les +débrouillards+ pour rassembler plus largement", souligne Nic Cheeseman: "Il sera intéressant de voir à quel point cette tentative (...) fonctionne".
"Certaines communautés se considèrent comme marginalisées. Une campagne basée sur la marginalisation peut activer à la fois l'identité ethnique et le statut économique", relève-t-il.
Vers un deuxième tour historique ?
Les présidentielles au Kenya se sont toujours résumées à des affrontements entre deux candidats majeurs, concentrant sur leurs noms l'immense majorité des votes.
Dans la situation actuelle, "il est très plausible que nous ayons trois ou quatre candidats viables", souligne Nic Cheeseman. Il serait alors "peu probable que l'un d'eux remporte 50% + 1 voix au premier tour", comme le prévoit la constitution.
Cela donnerait lieu à un deuxième tour pour la première fois dans l'histoire du pays.
Si la situation actuelle avec plusieurs candidats potentiels est "saine" car "elle génère le débat", un deuxième tour n'est toutefois pas certain pour Nerima Wako-Ojiwa: "Plus on se rapproche des élections, (...) plus la division (en deux camps) devient claire".
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