Bienvenue sur Africanews

Merci de choisir votre version

Regarder en direct

Infos

news

Vivre dans l'ombre : la vie d'un homosexuel à Dakar

Vivre dans l'ombre : la vie d'un homosexuel à Dakar
Dans cet épisode, on explore le tabou des Góor-jigéen   -  
Copyright © africanews
Africanews

Égalité des sexes

En 1966, sort au Sénégal la 1ere loi qui condamne l’homosexualité. Lorsqu’on est homosexuel au Sénégal, on n’est pas seulement considéré comme un sous-homme mais aussi comme un criminel. Il faut vivre caché, s’exposer aux insultes, au lynchage sur la place publique, au harcèlement. et on peut même finir en détention.

Venez découvrir ce que les homosexuels endurent au quotidien au Sénégal dans le 5eme épisode de Dans la tête des Hommes, une série originale d’Euronews en collaboration avec Africanews. Ce programme vise à promouvoir une discussion transfrontière sur les rôles de genre, du point de vue de cinq pays africains (Burundi, Sénégal, Lesotho, Guinée et Libéria) et un débat mondial sur une masculinité épanouie et respectueuse de tous. Les journalistes à l’origine de ces émissions travaillent avec un réseau de correspondants locaux dans les pays couverts par le projet, ainsi qu’avec des journalistes d’Africanews.

Dans cet épisode, la journaliste espagnole Marta Moreira, basée à Dakar, explore ce que signifie être gay au Sénégal où les hommes homosexuels sont visés par l'insulte "Góor-jigéen" - un terme péjoratif qui signifie littéralement "hommes-femmes" dans la langue wolof et est utilisé pour déprécier leur masculinité.

N’hésitez pas à encourager ce projet en écoutant et en vous abonnant au podcast sur euronews.com ou sur les plateformes Castbox, Spotify, Apple, Google,Deezer, et, ainsi qu’à partager votre avis et point de vue.

Suivez-nous et si vous avez été confrontés à des situations d’homophobie dans votre pays, partagez vos témoignages avec le hashtag #DansLaTeteDesHommes.

Retrouvez nos précédents épisodes sur des hommes luttant contre les violences domestiques au Burundi.

EPISODE 5

Le Góor-jigéen au Sénegal : le secret

Arwa Barkallah : Cette rumeur que vous entendez émane d’un groupe d'étudiants de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar. Nous sommes en 2016, et ces jeunes hommes ont en tête un projet qui fait froid dans le dos : chasser les homosexuels de leur campus. Ce jour-là, un jeune homme est accusé d’avoir fait des avances à un autre étudiant. Écoutez plutôt.

“Non à l'homosexualité”

Au Sénégal comme ailleurs, une attitude jugée trop "féminine" est très vite apparentée à l’homosexualité. Un homme doit être fort, un mâle alpha qui appartient au masculin. Les hommes n’ont donc pas “intérêt” à être gay.

Ce nouvel épisode de “Dans la tête des Hommes” nous emmène au Sénégal, en Afrique de l’Ouest, et aborde le thème de l’homophobie. “Dans la tête des hommes'' est le nouveau podcast d’Euronews qui interroge les masculinités dans les sociétés et les familles et va à la rencontre des hommes à l'origine de biens des solutions.

Junior : Bonjour, je m’appelle Junior, j’ai 25 ans et je suis étudiant en communication. Je serai diplômé en décembre en communication et marketing.

Arwa Barkallah : Nous rencontrons Junior dans un café calme du quartier Mermoz, sur la côte ouest de Dakar, la capitale sénégalaise. Junior est un homme très poli, plutôt du genre timide, svelte et élancé. A priori, rien ne le démarque de la population dans ses gestes ou son attitude. Comme beaucoup de Sénégalais, il porte beaucoup de soin à ses vêtements. Junior est un homme ordinaire qui pourrait aisément se fondre dans la foule dakaroise.

Il est très souriant quand il nous renseigne sur son métier, qu’il souhaite garder secret. Junior n’est d’ailleurs pas son vrai prénom. Changer ce dernier était la condition pour qu’il accepte de nous raconter une autre part de son identité qu’il cache à sa famille aussi.

Junior : Personne, personne ne la connaît et je n'ose pas leur en parler, je n’ose pas. Pourquoi ? Parce que tu le fais et après, ça va créer encore des bouquins et engendrer un rejet total. Et même si tu deviens quelqu'un, ils vont te rejeter.

Arwa Barkallah : Junior est gay. Au Sénégal, on appelle les homosexuels les ‘góor-jigéen’, un quolibet pour se moquer d’eux. Junior a compris qu’il était attiré par les garçons durant son adolescence. Mais il lui a fallu du temps avant de comprendre que cela faisait entièrement partie de lui.

Junior : J'étais avec un ami, on jouait tout, tout, tout brusquement. Je vivais dans un quartier populaire donc nous, les hommes, on avait l'habitude de jouer entre nous. Finalement, on a regardé un film qui était un peu excitant par rapport à notre âge. On s’est permis d’aller chez lui, de jouer ensemble.

Arwa Barkallah : De retour chez lui, ces pensées font réfléchir Junior. Longuement. Avant que tout cela devienne pour lui une évidence.

Junior : J'ai été choqué ce jour-là parce que je n'arrêtais pas de pleurer. Je me disais que quelque chose d’anormal venait de sortir. Moi, je n'avais pas pu accepter. Du coup, je ne pouvais pas accepter. Je n'arrêtais pas de me poser des questions. J’étais aussi fâché contre mon ami jusqu’à ne plus lui parler pendant presque plus de deux mois.

Arwa Barkallah : Junior prend soin de ne pas parler trop fort pour ne pas attirer l’attention d’une oreille qui traîne dans la cafétéria. Il n’a pas envie qu’on le traite de goor-jigeen.

Mais que veut dire ce mot en wolof, la langue vernaculaire du pays, comprise par 90 % de la population.

“Góor-jigéen" ça veut dire homme, ‘góor’ en wolof, et ‘jigéen’, ça veut dire femme en wolof”, explique Babacar Mbaye, professeur d'études panafricaines à l'Université du Kent, au États-Unis.

Arwa Barkallah : Ainsi, les hommes font tout ce qui est en leur pouvoir pour ne pas être associés à cette image. Au Sénégal, la masculinité est érigée en performance de génération en génération à travers les rites traditionnels et culturels ou sportifs. Prenons l’exemple de la lutte sénégalaise.

L’importance des rites est primordiale dans ce type de discipline, autant que la performance masculine. Dans les arènes et sous le regard attentif du public, adulés, ces grands gaillards ne portent qu’un genre de tissu autour de la taille appelé le ‘nguimb”. Ils affichent également un certain nombre d’amulettes censées leur porter chance. Ils doivent montrer de quel bois ils se chauffent. De la démonstration à l'état pur. Du sang, de la sueur et des larmes : le corps presque nu des performeurs masculins est exhibé, tel un conquérant ; le genre d’attitude qui est censé séduire les femmes.

Pour Junior, il s’agit en permanence de ne pas éveiller les soupçons.

Junior : Un homme ne doit pas s'habiller comme une femme et ne doit pas fréquenter les filles. C’est à dire pas comme des amies, mais comme des copines. Il y a plus d'interdits que de laisser-faire.

Arwa Barkallah : Être gay au Sénégal, c’est s’exposer aux insultes, au lynchage sur la place public, être poursuivi, harcelé, et même finir en détention. Être gay au Sénégal, ce n'est pas seulement être considéré comme un sous-homme, mais comme un criminel.

La plupart des homosexuels décident de se “placardiser”, c'est-à-dire de ne pas révéler leur orientation sexuelle en public. D’autres préfèrent quitter le pays.

Pourquoi faut-il toujours que les hommes aient besoin de montrer ou de prouver leur masculinité ? Pourquoi la masculinité a-t-elle besoin de se manifester principalement dans la performance ?

Mohamed Mbougar Sarr : Il y a une sorte de performativité qui fait que la virilité n'existe que si elle est montrée. C'est une sorte de redoublement, mais qui fait toute la complexité et parfois le ridicule du fait de devoir jouer à être un homme.

Arwa Barkallah : Mohamed Mbougar Sarr est un auteur sénégalais. Il a écrit en 2018 “De Purs hommes” un roman qui décrypte le regard que la société sénégalaise porte sur l’homosexualité, ce grand tabou.

Le sens de l’honneur et de la combativité, ne pas se montrer vulnérable, tenir jusqu’au bout et serrer les dents. C’est ainsi que Junior nous décrit la masculinité telle que la société sénégalaise la perçoit, la construit. Il s’agit d’une question d’honneur, tout le contraire de ce qu’une femme pourrait être.

Junior : Selon la culture sénégalaise, plusieurs étiquettes sont données à un homme. Ce dernier ne doit pas se coiffer ou s’habiller n'importe comment. Un homme ne doit pas pleurer. Un homme ne doit pas parler comme une femme.

Arwa Barkallah : Au Sénégal, la première loi qui pénalise l’homosexualité date de 1966.

Junior : Être gay est très difficile parce que tu as tendance à te cacher, à changer ton comportement, parce que les gens sont très radicaux. Ils sont méchants avec les homosexuels et les maltraitent même. Ça peut aller jusqu’au passage à tabac ou à la torture. Combien de temps cela va-t-il encore durer ? Il faut que ça s'arrête.

Arwa Barkallah : Lucas Ramon Mendos est coordinateur de la recherche à ILGA l’Association Internationale des Lesbienne, Gay, Bi, Intersexes et Personnes Trans (ILGA)

Lucas Ramón Mendos : Le schéma qui existe en Afrique subsaharienne, l’Europe s’en est complètement débarrassé en 2014. Aujourd’hui, une majorité des pays en Afrique ont conservé les lois coloniales et spécialement les anciennes colonies britanniques pénalisant la sodomie, les personnes ayant des relations homosexuelles et quelque soit l’endroit où ces relations ont lieu.

Arwa Barkallah : Mais Junior n’est pas le seul à se préserver du jugement, du regard des autres. Des milliers de personnes à travers le monde vivent cette situation. A ce jour, 70 pays pénalisent et/ou criminalisent les relations LGBTQI+.

L'actualité fait régulièrement état d’arrestations ou d’emprisonnement de personnes homosexuelles. En octobre dernier, 25 personnes soupçonnés d’avoir participé à un mariage gay ont été arrêtées dans le quartier de Mermoz, là où nous avons rencontré Junior.

Junior : Comment les homosexuels vivent-ils au sein de leur famille ? Ils sont obligés de quitter le pays. Certains, s’ils n'ont pas le moral, peuvent aller jusqu’à se suicider ou vivre comme des vagabonds.

Arwa Barkallah : D'après l’Agence Européenne des droits fondamentaux, six personnes LGBT sur 10 craignent des représailles s'ils tiennent leur partenaires par la main, en public.

Harvey Milk (Gus Van Sant, 2008) :

“Affrontez vos parents, affrontez vos amis, s'ils sont en fait vos amis. Affrontez vos voisins, affrontez vos camarades du travail ! Une fois pour toutes, démolissons les mythes et détruisons les mensonges et les distorsions”.

La vie d’Adèle (Abdelatif Kechiche, 2013) :

Adèle : Je ne suis pas agressive, c’est elle qui m'agresse depuis une heure et demie en disant n’importe quoi. Je me défends, c’est tout".

L’autre fille : C’est toi qui est énervée, d’accord ?

Adèle : Je suis énervée, parce que tu dis n’importe quoi. Je ne suis pas lesbienne. Je te dois te le dire comment ?

Les Roseaux Sauvages (Andre Techine, 1994) :

“Je suis un pédé...je suis un pédé...je suis un pédé”.

Arwa Barkallah : La pandémie de COVID-19 n’a pas épargné les personnes gays des rumeurs les plus farfelues. Elles ont été accusées de propager le virus comme cela avait déjà été le cas avec l'épidémie de VIH/Sida.

Professeur Boubacar Mbaye : Vers la fin des années 1990, durant la période où le sida et ces maladies-là étaient considérés comme des fléaux amenés par les homosexuels, ces individus ont été confrontés à l’oppression et à la violence. Il était vraiment triste aussi de savoir que, à ce moment-là, il n’y avait pas beaucoup de supports médicaux ni de soutien du genre économique pour ces personnes-là.

Arwa Barkallah : Les politiques se sont servis de cela pour jeter l’opprobre sur les personnes homosexuelles. Il y a quelques mois, le Président sénégalais, Macky Sall a confirmé que la dépénalisation de l’homosexualité ne serait pas - a court terme - au programme.

Président Macky Sall : Les lois de notre pays obéissent à des normes qui sont le condensé de nos valeurs de culture et de civilisation.

Arwa Barkallah : Mais l'hétéronormativité a-t-elle toujours été légion dans la culture sénégalaise ?

Junior : "Góor-jigéen" auparavant, ce n'était pas ça la conception, parce qu'il y avait des hommes qui s'habillaient comme des femmes et qui parlaient comme des femmes d'après les recherches que j'ai faites.

Arwa Barkallah : Dans le prochain épisode, de “Dans la Tête des hommes'', nous aborderons l’histoire du Sénégal en la matière. Les Goorjigeen ont-ils toujours été persécutés dans le pays de la Teranga ?

Réponse dans le prochain épisode de Dans la tête des hommes. Nous voyagerons à nouveau, mais cette fois-ci, à travers le temps, celui où les ‘góor-jigéen’ étaient largement acceptés au Sénégal. Nous comprendrons les racines coloniales de cette homophobie qui s'est installée au fil de contacts avec les cultures européennes.

Si vous découvrez notre série de podcasts, n’hésitez pas à aller découvrir nos épisodes précédents sur les Abatangamuco au Burundi ; des hommes qui se lèvent contre les violences conjugales.

Rendez-vous également sur notre site internet.

Cet épisode a été ponctué des chansons de Sahad Sarr, artiste et compositeur engagé dans le développement des populations rurales. Les autres œuvres sont disponibles sur sahadpatchwork.com.

Ce reportage a été réalisé par Marta Moreiras à Dakar.

Arwa Barkallah, Lillo Montalto Monella, Marta Rodriguez Martinez, Naira Davlashyan ont préparé cette émission depuis Lyon, France.

Lory Martinez à Paris, France.

Clizia Sala à Londres, Royaume-Uni.

Production et conception par le Studio Ochenta.

Thème musical par Gabriel Dalmasso.

Remerciement particulier à Natalia Oelsner pour la programmation musicale de cet épisode.

Redaction en chef, Yasir Khan.

Pour plus d’informations, rendez-vous sur Euronews.com/danslatetedeshommes, sur Twitter, @euronews_fr et instagram euronews_french.

Vous pouvez nous faire part de votre expérience et de votre vision de ce qu’est être un homme aujourd’hui en utilisant le #DansLaTeteDesHommes.

Ce programme a été rendu possible grâce au concours de la Fondation Bill et Melinda Gates et le Centre européen de journalisme, le ECJ, via le Fonds européen pour le développement du journalisme.

Ce podcast est disponible en anglais et s'appelle Cry Like a Boy.

Ce programme est financé par le European Journalism Centre, dans le cadre du programme European Development Journalism Grants, avec le soutien de la Fondation Bill and Melinda Gates.