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"Loin du danger" mais "invisibles" : au Nigeria, un rare refuge LGBT+

"Loin du danger" mais "invisibles" : au Nigeria, un rare refuge LGBT+
Photo d'illustration : des réfugiés ougandais homosexuels rentrent après avoir fait des achats de nourriture à Nairobi, au Kenya   -  
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Brian Inganga/Copyright 2020 The AP

Nigéria

Quand Muna et Mary ont emménagé dans l'Anambra, dans le sud-est du Nigeria, ils pensaient démarrer une nouvelle vie. Mais le rêve s'est mué en cauchemar pour cet homme trans et sa petite amie : les voisins aux fenêtres, les insultes, les menaces de viol. Pas d'autre choix que de partir.

"Ça m'a détruit. On ne savait pas où aller. J'ai eu envie de me suicider", lâche Muna, 26 ans, les larmes aux yeux.

Aujourd'hui, le couple vit dans une maison en apparence comme les autres, cachée au fin fond d'une "gated community" - quartier résidentiel fermé - d'une banlieue déshéritée de Lagos.

C'est en réalité un des rares refuges pour personnes LGBT+ - ils se comptent sur les doigts d'une main - de la vibrante capitale économique du Nigeria. Un rare havre de paix qui accueille gratuitement pendant trois à six mois huit hommes et femmes gays, lesbiennes, bisexuels ou trans.

Crise économique

Ils et elles ont été rejetées par leurs familles, vivant principalement de débrouille mais n'ont au moins pas à payer de loyer à l'heure où le Nigeria, première économie d'Afrique, traverse une grave crise économique, à trois mois de l'élection présidentielle.

"Cet endroit représente beaucoup. On revient d'une phase très sombre. Ici, on se sent aimé et en sécurité, loin du danger", chuchote Muna, assise sur un canapé dans le salon où la lumière du jour filtre à peine à travers les rideaux.

En 2014, le pays le plus peuplé d'Afrique - très religieux - a fait passer une loi contre "le mariage entre personnes de même sexe". Depuis, l'homosexualité est passible de 10 à 14 ans de prison. Dans les faits, cette loi est rarement appliquée mais elle a légitimé les intimidations et violences généralisées vis-à-vis de la communauté LGBT+.

Car même les forces de l'ordre sont fréquemment accusées d'extorsion et d'humiliations.

Homophobie

Le pays est divisé entre le Nord majoritairement musulman, où la loi islamique est appliquée parallèlement au système judiciaire, et le Sud à majorité chrétienne, où l'Eglise garde une influence considérable.

Comme dans une majeure partie de l'Afrique, l'homosexualité est souvent perçue comme étant importée de l'Occident et contraire aux "valeurs" locales. Mais au Nigeria, l**'homophobie** atteint son paroxysme.

L'ONG nigériane La Crème de la Crème, qui milite notamment pour les droits des personnes transgenres, met à disposition à ses frais le refuge composé de trois chambres.

A côté de Muna, devant la fenêtre ouverte, Mary, 25 ans, rit jaune à l'idée que sa mère demande souvent à Dieu "ce qu'elle a fait pour mériter une fille lesbienne".

"Presque tout le monde est homophobe. C'est drôle, ce pays est rempli de personnes LGBT+ mais on doit rester caché dans le placard. Et si l'un d'entre nous est attrapé..."

Climat de méfiance

Dans le refuge, la méfiance et le silence règnent. Chacun raconte son histoire à voix basse, par peur d'être entendu. Le coordinateur, Richard, 26 ans, reconnaît que "personne ne se parle".

"Mais on ne doit pas les blâmer, on ne sait pas ce qu'ils ont traversé. On fait le maximum pour qu'ils soient en paix ici", assure-t-il.

Un mot explique ce climat de méfiance et suscite à lui seul l'effroi dans la communauté nigériane LGBT+ : "Kito". Il fait référence aux nombreuses photos, vidéos et récits d'humiliations - voire pire - de Nigérians homosexuels postés sur les réseaux sociaux.

Cette pratique, courante et qui vise principalement les hommes gays, consiste à créer un faux compte sur une application de rencontre gay, principalement Grindr, et à "piéger" une "cible" en l'invitant quelque part.

Une fois arrivée sur place, la victime, filmée, est rouée de coups, humiliée, insultée, parfois violée et tuée. Elle doit aussi payer des sommes considérables si elle veut rester en vie.

Minorités sexuelles

Diego, 29 ans, se dit "chanceux" quand il entend ces histoires. Le jeune homme au polo bleu et aux longs ongles raconte prendre toutes les précautions et notamment attendre "des mois" voire "des années" pour inviter quelqu'un ou se déplacer.

"Il faut être invisible et vraiment faire attention aux gens autour de soi", souffle-t-il.

Quelques poches éphémères de liberté existent toutefois à Lagos, la tumultueuse mégapole de 20 millions d'habitants, notamment dans les soirées et sur la scène artistique bouillonnante. Des arbustes qui cachent une forêt de dangers.

Le pays qui compte plus de 215 millions d'habitants, s'apprête à élire en février un successeur au président Muhammadu Buhari. Pendant la campagne présidentielle, aucun candidat n'a évoqué les minorités sexuelles et de genres.

"Vu comment les gays sont habituellement utilisés comme boucs émissaires, pendant les périodes électorales mon esprit est en paix", affirme Matthew Blaise, militant pour les droits de ces minorités.

Au Nigeria, près d'un habitant sur trois vit sous le seuil d'extrême pauvreté.

Les minorités sont marginalisées et donc particulièrement touchées, alerte M. Blaise. "La communauté LGBT+ est au seuil de cette pauvreté."

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