Libye
Le nouveau patron de la stratégique Compagnie libyenne nationale de pétrole (NOC) a pris ses fonctions jeudi en remplacement d'un technocrate respecté à l'international, faisant craindre des troubles accrus dans une production de pétrole déjà minée par les rivalités politiques.
L'ambassadeur des Etats-Unis à Tripoli, Richard Norland, s'est dit "profondément préoccupé" par ce changement, mettant en garde contre toute "confrontation armée".__"Vitale pour la stabilité et la prospérité de la Libye", la NOC est "restée politiquement indépendante et techniquement compétente sous la direction de Mustafa Sanalla", a-t-il déclaré dans un communiqué.
Cette entreprise publique gère le secteur énergétique de la Libye, où les revenus des hydrocarbures, principale ressource du pays, sont au cœur des querelles politiques. Farhat Bengdara, un banquier nommé par décret du chef du gouvernement de Tripoli (ouest), Abdelhamid Dbeibah, a pris ses fonctions jeudi sans passation de pouvoir avec M. Sanalla.
"Chaos supplémentaire"
"Nous travaillerons selon les critères les plus élevés de bonne gouvernance", a-t-il promis depuis le siège de la NOC à Tripoli, avant d'annoncer une hausse des salaires dans le secteur "décidée par le gouvernement" et qui sera effective d'ici deux mois maximum.
"Le nouveau conseil d'administration est déjà contesté par des personnalités libyennes clés. Sanalla lui-même a déjà refusé de le reconnaître", a réagi auprès de l'AFP, Aydin Calik, analyste à la Middle East Economic Survey (MEES).
Fort du soutien des partenaires étrangers, M. Sanalla a dit dès mercredi qu'il ne céderait pas son portefeuille. C'était sans compter l'intervention d'un groupe armé pro-Dbeibah, qui a encerclé le siège de la NOC, jeudi.
"Le remplacement du bureau de la NOC peut être contesté en justice mais ne doit pas faire l'objet d'une confrontation armée", a mis en garde l'ambassadeur américain. Certaines filiales de la NOC "ont déjà félicité le nouveau conseil d'administration tandis que d'autres ont exprimé leur soutien à M. Sanalla", constate Aydin Calik.
En huit ans à son poste (depuis 2014), M. Sanalla, 63 ans, s'est imposé comme un interlocuteur de choix des partenaires étrangers, dont les grandes compagnies du secteur. Pour Hamish Kinnear, de l'institut d'analyse Verisk Maplecroft, ce remplacement à la tête de la NOC "plonge le secteur pétrolier (...) dans un chaos supplémentaire".
Dotée des réserves les plus abondantes d'Afrique, la Libye est plongée dans le chaos depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011 et secouée par des divisions entre l'est et l'ouest du pays.
Deux gouvernements se disputent le pouvoir depuis mars: l'un basé à Tripoli dirigé par M. Dbeibah depuis 2021 et un autre conduit par Fathi Bachagha et soutenu par le camp du maréchal Khalifa Haftar, homme fort de l'Est.
"Reprise des exportations"
La production pétrolière est depuis mi-avril l'otage de cette crise institutionnelle. Six gisements et terminaux pétroliers ont été fermés par des groupes proches du camp de l'Est, réclamant le transfert du pouvoir à M. Bachagha ainsi qu'une "répartition équitable" des recettes pétrolières. La production dont l'essentiel est exporté a chuté à moins de 400 000 barils par jour contre environ 1 million en mars.
"Je travaillerai pour la reprise des exportations pétrolières pour les ramener au niveau d'avant-blocus", a promis M. Bengdara. Pour Emadeddin Badi, chercheur au centre de réflexion Global Initiative, le changement à la tête de la NOC "est le produit d'une convergence momentanée entre Dbeibah et Haftar, mais pourrait être la base d'un accord plus large".
Selon cet arrangement, M. Dbeibah "retrouve l'accès aux fonds publics", tandis que M. Haftar "lèvera vraisemblablement le blocus et limitera, voire arrêtera complètement, son soutien à Bachagha", selon M. Badi, qui prédit un accord de circonstance pas forcément durable.
Le nouveau patron de la NOC, 57 ans, a été gouverneur de la Banque centrale libyenne de 2006 à 2011, avant de se joindre à la révolte de 2011.
Réputé proche des Emirats arabes unis, qui soutiennent le camp de l'Est, il a été en 2015 et 2016 conseiller du cabinet parallèle basé dans l'Est. M. Sanalla a accusé les Emirats d'être impliqués dans la décision de le remplacer, mais M. Bengdara a rejeté ces affirmations, en se disant "indépendant".
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