Interview
30 ans après l’apparition des démocraties émergentes en Afrique, le modèle semble être mis à rude épreuve.
Au cours de cet entretien avec Francis Laloupo, journaliste et enseignant en science politique, auteur du livre « Blues démocratique : 1990 à 2020 », l'essayiste analyse les raisons de ce recul démocratique et les menaces auquel le modèle démocratique est confronté.
Blues démocratique, le titre de votre dernier ouvrage en dit long, à quoi doit-on cette mélancolie et cette baisse d’attractivité du modèle démocratique ?
Francis Laloupo : Dans mon livre je mets en parallèle, d’une part, la crise des processus de démocratisation en Afrique qui s’est intensifiée ces dix dernières années et d'autre part la crise inédite et historique des anciennes démocraties dans le monde. J’étudie les facteurs de crise d’empêchement et de recul démocratique.
Les facteurs de la crise des processus démocratique en Afrique sont de diverses origines.
Si nous nous focalisons sur les démocraties émergentes du continent, nous avons assisté à un rapport de force constant entre d’un côté les militants de la cause démocratique et de l’autre les forces de la restauration autocratique et autoritaire.
Au cours de ces trente dernières années, nous avons pu observer la multiplication des f**acteurs d’empêchement et de recul démocratique à savoir les fraudes électorales, l’exclusion des opposants de la compétition électorale, l’emprisonnement ou la répression des opposants…**mais aussi plus récemment les coups d’Etat constitutionnels par le moyen de la modification opportuniste de la constitution qui a entrainé ce qu'onappelleaujourd'huila crise du troisième mandat. Tous ces facteurs ont contribuéà ralentir le processus de démocratisation sur le continent et interrompu la conquête démocratique entamée dans les années 90.
Aujourd’hui nous assistons à un tournant important, c’est-à-dire la difficulté pour les Africains de conclure ou en tout cas de parachever le processus de démocratisation, et le retour en force des forces de restauration autocratique.
Nous observons donc une nouvelle bipolarité entre le monde démocratique et la montée des nouvelles autocraties, comme la Chine par exemple qui est très implantée en Afrique et comme la Russie dont l’influence progresse sur le continent. A l'heure de la guerre en Ukraine, en quoi une influence russe plus importante peut-elle impacter les choix politiques du continent ?
Francis Laloupo : Cela fait plusieurs années maintenant que l’on a assisté en Afrique à une diversification des partenariats extérieurs, avec des alliances particulières ou des systèmes de coopération entre l’Afrique et divers partenaires étrangers qu’ils soient occidentaux ou d’autres partenaires tels que la Russie et fortement la Chine, la Chine qui est devenue aujourd’hui l’un des principaux investisseurs sur le continent africain.
Je pense que le moment est venu de dépasser la seule approche commerciale de ces partenariats, et de s’interroger sur l’impact de ces coopérations sur les choix économiques en Afrique et sur l’impact politique que ces systèmes peuvent avoir sur l’évolution du processus de démocratisation et sur les divers positionnements politiques des pays africains sur la scène internationale.
Il y a aujourd’hui une recomposition des pôles de puissance sur la scène internationale, donc l’Afrique est face à des choix. La question est de savoir si ces choix sont faits en toute indépendance et si les Africains se déterminent en fonction essentiellement de leurs intérêts ou alors pour jouer les arbitres entre l’Occident et les puissances non démocratiques, qui aujourd’hui ont clairement déclaré une forme de confrontation avec les démocraties occidentales.
Comment retrouver cet enthousiasme du multipartisme des années 90, comment réparer ce modèle alors qu’il y a clairement une crise de confiance entre les populations et leurs dirigeants politiques ?
Francis Laloupo : Vous avez tout à fait raison, vous avez employé un mot très juste que d’ailleurs j’emploie dans mon livre, comment retrouver l’enthousiasme démocratique que l’on retrouve dans les vieilles démocraties ou dans les démocraties émergentes ?
Il faut effectivement retrouver cet enthousiasme de la conquête démocratique car c’est sur ce socle démocratique que se réaliseront toutes les aspirations et exigences historiques des pays africains en terme de développement, de conquête et de progrès sociaux, ainsi que dans d'autres secteurs. L’un des plus importants c’est l’éducation, l’éducation pour tous et le bien-être partagé pour tous.
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