Journalisme
Le travail de journaliste est de plus en plus dangereux dans plusieurs pays du Sahel. Exerçant souvent avec la peur au ventre, nombre de journalistes racontent la difficulté d’un métier à haut risque.
Ces journalistes racontent la difficulté de continuer à informer malgré la propagation djihadiste et les agissements criminels, la quasi impossibilité d'accéder à de vastes étendues de territoire et à certaines sources, ainsi que les pressions et les intimidations multiples, qu'elles viennent du pouvoir ou d'ailleurs, sans parler du manque de moyens de la profession.
Les poussées djihadistes et les agissements criminels sont les principales causes du départ de journalistes étrangers. Les locaux évoquent quant à eux une menace permanente et la peur de l’enlèvement."Beaucoup ont quitté la zone parce qu'ils pensent qu'ils ne sont pas en sécurité. Malheureusement ça impacte sur le travail même du journaliste parce que quand tu quittes, la radio est abandonnée. Il y a beaucoup de radios qui sont fermées du fait de l'insécurité", déclare Abdoul-Kader Idi, un journaliste nigérien.
Tourner sa langue
Au Niger, où les attaques contre des civils se sont multipliées depuis le début de l'année, le responsable d'une radio communautaire ayant requis l'anonymat reconnaît qu'il vaut mieux "tourner mille fois sa langue avant de parler." Ce que confirme Moudi Moussa, responsable du Syndicat Autonome des Travailleurs de l'Information et de la Culture (SYNATIC) du Niger. "Il y a certaines questions qui concernent par exemple la région de Diffa (Sud-Est nigérien où sévit Boko Haram), c'est d'ici, de Niamey, qu'on les traite de peur d'exposer donc les confrères qui sont là-bas sur place. C'est dire carrément qu’effectivement le métier de journaliste est un métier à haut risque dans ces zones, notamment d'insécurité."
"La vie d'un journaliste au Sahel n'est pas toujours gaie, même à Bamako : barbelés autour de la maison, précautions à prendre dehors", constate Serge Daniel, le correspondant dans la capitale malienne depuis plus de 25 ans de Radio France Internationale (RFI) et de l'Agence France-Presse (AFP). L'assassinat d'une journaliste et d'un technicien de RFI en 2013 a marqué les esprits. Pourtant la situation est peut-être plus dangereuse aujourd'hui qu'au début de la poussée djihadiste dans le Nord en 2012, assure-t-il.
Menace permanente
Au-delà des risques courus en déplacement, les journalistes locaux évoquent le sentiment d'une menace permanente. Le rédacteur en chef de la télévision privée malienne Renouveau TV, Bréhima Sogoba, rapporte que certains de ses correspondants, par crainte des représailles, renoncent à signer leurs reportages. "Pour les journalistes internationaux, c'est aussi une question d'approche. Ils sont aujourd’hui la cible de ces hommes armés non identifiés, de ces groupes armés, présumés terroristes, contrairement aux journalistes maliens."
Ce mercredi, le journaliste Olivier Dubois est apparu dans une vidéo où il dit avoir été enlevé à Gao, dans le nord-est du Mali. Ce journaliste aguerri de 46 ans, qui vit et travaille depuis 2015 au Mali, avait arrangé un rendez-vous avec le commandant d'un groupe djihadiste de la région, Abdallah Ag Albakaye. Il a été vu pour la dernière fois alors qu'il embarquait dans une voiture avec plusieurs hommes.
Fin avril, deux reporters espagnols, David Beriáin et Roberto Fraile, ainsi que l'Irlandais Rory Young, président d'une ONG de protection de la faune sauvage, ont été tuées au Burkina Faso alors qu'ils se trouvaient avec une patrouille antibraconnage. Leur mort "vient encore rappeler combien on peut être exposé dans notre métier", confie le journaliste reporter d'images burkinabè Salif Zangre. "Cela n'entame pas notre volonté de couvrir l'actualité", assure-t-il, mais en prenant toutes les précautions possibles.
Vicissitudes de la presse
Le Burkina Faso figure au 37e rang du classement mondial de la liberté de la presse 2021 de Reporters Sans Frontières (RSF), le Niger au 59e et le Mali au 99e. RSF décrit même le Burkina Faso comme "une des réussites du continent" en la matière. Mais l'organisation évoque les vicissitudes de la presse dans les pays sahéliens : insécurité largement répandue, restrictions de mouvement et sanctions imposées par les autorités au nom de la lutte contre les djihadistes, tours de vis justifiés par la pandémie de Covid-19.
Continuer à rapporter une information complexe dans un tel contexte est un défi constant. Pour le rédacteur en chef de Renouveau TV, il faut avant tout "maîtriser le terrain" et mesurer tous les enjeux. "Le bon journaliste, c'est quand même celui qui vit", dit Bréhima Sogoba.
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