Ethiopie
Quand l’Ethiopien Yonas Getu Molla a commencé à mâcher du khat, il était étudiant en architecture et trouvait dans cette plante euphorisante l‘énergie pour rester éveiller et étudier jusque tard dans la nuit.
Mais quand ses amis et lui-même refermaient leurs bouquins, leur cœur battait la chamade et ils se mettaient en quête d’alcool fort ou de cannabis pour contrebalancer les effets du khat, similaires à ceux des amphétamines, afin de trouver le sommeil.
Pour Yonas, aucun doute : la consommation de khat l’a conduit à développer des addictions à l’alcool et à la drogue, et lui a coûté sa carrière, ses économies et le respect de son entourage. “Une substance venait après une autre substance”, raconte-t-il à l’AFP.
A Mekele, la capitale de l‘État régional du Tigré dans le nord de l‘Éthiopie, un Centre de désintoxication aux drogues, organisme public qui fait figure de précurseur dans le pays, l’a aidé à abandonner toutes ses addictions, y compris celle du khat.
Considéré comme un stupéfiant dans de nombreux pays, le khat est autorisé et très couramment consommé en Ethiopie et plus généralement dans une grande partie de l’Afrique de l’est, où il est plus perçu comme une activité culturelle qu’un problème de société.
Il n’existe pas de consensus parmi les experts de santé publique sur le niveau de dépendance suscité par le khat. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) le juge comme moins addictif que l’alcool ou le tabac.
Certains affirment néanmoins que le khat alimente des pathologies comme la dépression.
Et des consommateurs réguliers évoquent des effets à long terme : perte d’appétit, dentition endommagée, manque de sommeil, sans compter les répercussions non négligeables sur les finances de certains foyers.
A Addis Abeba, un consommateur de khat dépense en moyenne 4 dollars par jour (3,60 euros), dans un pays où le revenu moyen annuel est selon la Banque mondiale de 783 dollars (705 euros).
Juste derrière le café
Le psychologue clinicien Welday Hagos, directeur du centre de Mekele – le seul établissement gratuit de désintoxication aux drogues et à l’alcool du pays -, considère non seulement le khat comme une drogue mais estime que sa consommation est la porte ouverte vers des substances plus dures.
Selon lui, plus de 80% des quelque 500 patients dont il s’est occupé depuis l’ouverture du centre en 2015 ont commencé une addiction à l’alcool ou à une drogue en consommant du khat.
Le sevrage du khat – également appelé “miraa” au Kenya ou en Tanzanie – s’accompagne d’effets secondaires allant de l’irritabilité aux cauchemars en passant par des variations très brutales de l’appétit, décrit Welday Hagos.
Dans le centre de désintoxication qu’il dirige, ce sevrage passe par des thérapies individuelles et de groupe, des médicaments si nécessaire, la pratique sportive, la fréquentation d’une bibliothèque, des séances “spirituelles”, des réunions avec d’anciens accros… Téléphones portables et tablettes sont bannis, les visites et les contacts avec l’extérieur sont limités.
Welday Hagos estime que “nous n’allons pas dans la bonne direction: nous devons accroître la connaissance de la population sur les conséquences de la consommation de khat.”
Elle reste néanmoins légale en Ethiopie, où le khat représente même le second poste à l’exportation derrière le café, notamment en direction de Djibouti et de la Somalie.
La consommation domestique est aussi en hausse et touche particulièrement la population estudiantine de ce pays de plus de 100 millions d’habitants, souligne Welday Hagos, en se référant à plusieurs études sur le sujet, dont une datant de 2018.
Plusieurs campagnes lancées par des groupes de la société civile ont échoué à en obtenir l’interdiction, comme c’est le cas en Grande-Bretagne ou aux États-Unis.
Atteindre le “merkana”
Le khat a ainsi ses fervents défenseurs en Ethiopie, comme a pu le constater l’AFP récemment à la “Petite Mogadiscio”, un quartier de la capitale Addis Abeba.
Chaque après-midi, les rues assoupies s’y animent à l’arrivée d’une camionnette remplie de fagots de khat fraichement récolté, en provenance directe de la ville d’Harar (nord-est), un des principaux centres de production du pays.
Récemment, l’AFP y a rencontré un groupe de cinq jeunes amis, qui une fois leur khat acheté, ont installé leurs tabourets en plastique en cercle sur le trottoir et vanté les vertus de la plante euphorisante, à l’abri d’un parasol.
Selon eux, le khat agit comme un antidouleur, un antidépresseur et permet d’ignorer la faim; il a aussi le mérite d’apaiser les frustrations de la population et de diminuer l’appétit sexuel des hommes, ce qui leur permet de rester fidèles à leur(s) épouse(s); et celui qui le consomme au travail, ajoutent-ils, peut atteindre un état appelé le “merkana”, une concentration tout à la fois intense et joyeuse, qui augmente la productivité.
Les cinq jeunes amis montrent peu de patience quand on évoque les risques que la consommation de khat ne débouche sur d’autres addictions.
“Les gens qui disent ça étaient déjà alcooliques ou consommaient des drogues”, affirme l’un d’eux, Ousman Abdulahi. “Quand vous consommez du khat, cela ne fait que renforcer votre concentration”, assène-t-il.
Reste que des patients du centre de désintoxication de Mekele estiment que leur vie a été détruite par le khat.
Mohammed Kelifa, 30 ans, en a absorbé quotidiennement pendant neuf ans. Il passait ses nuits à en consommer – tout en dialoguant avec des femmes sur Facebook. Son épouse a demandé le divorce.
Mohammed est confiant que sa cure de trois mois lui a permis d’en finir avec le khat. Il se dit prêt désormais à reconstruire sa vie. “Je veux me remarier, construire une famille et de nouveau inspirer du respect.”
“Le plupart des gens qui quittent cet endroit ont peur de rechuter mais je n’ai pas cette crainte”.
AFP
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