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Génocide au Rwanda : des témoignages à charge au procès d'un ancien médecin

Génocide au Rwanda : des témoignages à charge au procès d'un ancien médecin
Le médecin rwandais Sosthene Munyemana arrive avec son avocate Florence Bourg au palais de justice de Paris, le 14 novembre 2023   -  
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ALAIN JOCARD/AFP or licensors

France

"Il nous a détruits". Au procès de l'ancien médecin rwandais Sosthène Munyemana, jugé devant les assises de Paris pour sa participation au génocide des Tutsi en 1994, les premiers témoins ont commencé mercredi à défiler à la barre, déroutant parfois la cour avec des déclarations contradictoires.

Après une semaine dédiée à camper le contexte historique, social et politique du génocide qui a fait plus de 800 000 morts entre avril et juillet 1994, le procès est entré dans le vif du sujet avec les récits de Rwandais sur les faits reprochés à l'accusé, qu'il conteste.

Monique A., 56 ans, est la première à se présenter à la barre. En 1994, elle a 25 ans, est mariée et a deux enfants. Les 17 et 19 avril de cette année-là, alors que débutent les tueries dans le secteur de Tumba (sud du Rwanda) où elle habite, elle assiste à deux réunions où Sosthène Munyemana prend la parole.

Rapidement, "les hommes tutsi ont compris qu'ils allaient être tués et ont commencé à se cacher", raconte-t-elle. Et "après la dispersion de nos maris, nous avons été violées".

Elle l'est par un voisin, qui lui dit que l'accusé avait "dit qu'il pouvait violer des jeunes femmes" et qu'il ne fallait "pas résister". En échange, son agresseur lui apporte une relative protection, en la cachant et la prévenant un jour de s'enfuir dans un champ de sorgho pour éviter d'être tuée.

Assis à environ un mètre seulement d'elle, dans la petite salle d'audience du palais de justice, Sosthène Munyemana l'écoute attentivement, la regardant du coin de l'œil.

Le 20 mai, alors que des rumeurs évoquent une "accalmie", son mari revient. "Ce qui est horrible, c'est de voir votre mari arriver" alors que "vous ne pouviez plus marcher tellement vous aviez été violée et affamée", confie-t-elle, avant de s'asseoir, submergée par l'émotion.

Son mari est finalement tué par son violeur.

Sosthène Munyemana "n'a pas participé aux tueries, je ne l'ai pas vu tuer qui que ce soit", mais "il a participé aux réunions qui ont organisé ces tueries", expose-t-elle, avant d'ajouter : "Il nous a détruit, il a donné l'ordre de nous violer".

Comment explique-t-elle que dans un procès-verbal d'une audition réalisée avec des enquêteurs français au Rwanda, elle ait déclaré n'avoir connu l'accusé que le 22 avril 1994, soit après les réunions évoquées précédemment, lui demande Me Jean-Yves Dupeux, un des deux avocats de la défense.

"Les personnes qui m'ont interrogée ont tout mélangé", répond-elle. "Je ne suis pas en train de mentir."

Lui succède un ancien milicien, Alfred M., 66 ans, qui a purgé 27 ans de prison au Rwanda pour sa participation aux massacres. Ce petit homme chauve et sec, vêtu d'une veste grise dans laquelle il flotte, raconte avoir tué des Tutsi pendant plusieurs jours et avoir participé aux pillages.

En 2010, lorsqu'il avait été interrogé par des juges d'instruction françaises au Rwanda, il avait lourdement accusé Sosthène Munyemana.

Mais devant la cour d'assises, il est beaucoup plus modéré. S'il confirme que l'ancien médecin a bien été désigné, après le début des massacres dans la région, pour diriger un "petit comité qui va parcourir tout le secteur pour prendre des décisions pour trancher des conflits entre Hutu", il déclare que l'accusé n'a pas participé aux meurtres ni désigné les maisons des Tutsi à exécuter.

À plusieurs reprises, le président de la cour d'assises tente de comprendre ces revirements. "Pourquoi avez-vous raconté n'importe quoi ?", lui demande-t-il. Ce sont "peut-être des erreurs de la transcription", avance le témoin, se disant lui-même "abasourdi".

"Les juges d'instruction n'ont pas pu inventer ces détails, pourquoi vous avez dit ça ? Étiez-vous sous pression ?", retente le magistrat. "Non je n'étais pas sous pression", affirme le sexagénaire.

"Ce sont des déclarations qui ont été faites en prison, on sait que la parole n'est pas libre en prison", observe Me Florence Bourg, autre avocate de Sosthène Munyemana. "Compte tenu des contradictions et des mensonges, je crois que ça vide de toute substance l'ensemble des déclarations" du témoin, conclut-elle.

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