Kenya
L'entreprise de taxi de Hempstone Monari venait juste d'être lancée lorsque son avenir s'est dérobé et qu'une banque kényane a vendu sa voiture aux enchères pour non-paiement d'un prêt de 9 900 dollars.
"Ils ont pris ma voiture alors que les affaires étaient au ralenti", raconte à l'AFP le jeune homme de 29 ans, les yeux rougis par les gaz lacrymogènes, en marge d'une manifestation émaillée d'affrontements avec la police.
Désormais au chômage et luttant pour nourrir sa famille de trois personnes, il a rejoint cette semaine des centaines de manifestants pro-opposition à Nairobi pour protester contre la vie chère. "La vie est devenue difficile", ajoute-t-il.
Puissance économique et politique en Afrique de l'Est, le Kenya a vu se créer de multiples projets d'infrastructures ces dernières années - mais les problèmes s'aggravent derrière cette façade. L'inflation a atteint 9,2% en février, selon le gouvernement.
La sécheresse record qui sévit dans la région a laissé des millions de personnes sans ressource et nourriture et la prochaine saison des pluies, entre mars et mai, devrait à nouveau, pour la sixième année consécutive, manquer d'eau.
La monnaie du pays, le shilling kenyan, a chuté à un niveau historiquement bas, perdant en février près de 4% de sa valeur par rapport au dollar, selon l'institut Oxford Economics Africa.
Bien que la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine aient contribué à la crise, des manifestants comme Hempstone Monari pensent que leur gouvernement pourrait faire beaucoup plus pour soulager leurs maux.
Ils sont désormais prêts à organiser des manifestations deux fois par semaine, lançant un défi majeur à l'administration du président William Ruto six mois après son élection.
Selon le vice-président Rigathi Gachagua, les manifestations ont déjà coûté 15 millions de dollars au Kenya. Mercredi, le président kényan a tenté de rassurer les investisseurs, mettant en avant son engagement à garantir un "environnement sûr et propice sur une base durable" au milieu des affaires.
Il a ajouté que son gouvernement "prendrait des mesures énergiques (...) pour démontrer que personne n'est au-dessus des lois en luttant de manière décisive contre l'impunité, l'anarchie et le désordre".
Jeune dirigeant ambitieux, William Ruto avait fait campagne sur une promesse de relancer l'économie et de mettre de l'argent dans les poches des opprimés. Mais sa décision de lever les subventions pour le carburant et la farine de maïs - un aliment de base - a suscité colère et incompréhension.
"Honnêtement, nous ne savons pas à quoi ressemblera demain ou la semaine prochaine ou le mois prochain", affirme à l'AFP Jane Chege, 33 ans, responsable d'un magasin d'électronique qui a vu ses revenus chuter de plus de moitié ces six derniers mois.
"Payer juste le loyer est une corvée. Le coût d'importation des téléphones portables sera bientôt inabordable pour les petites entreprises comme la mienne", estime-t-elle.
Pour les économistes, l'avenir s'annonce sombre. "Nos perspectives à court terme restent orientées à la baisse", déclare à l'AFP Shani Smit-Lengton de l'institut Oxford Economics. Le pays va continuer pendant 18 mois à souffrir d'un manque de devises, prédit-il.
La sécheresse devrait encore réduire les perspectives agricoles tandis que l'industrie vitale du tourisme qui représente près de 10% du PIB pourrait subir le contre-coup des manifestations.
L'affaiblissement de la monnaie a également surenchéri les coûts de remboursement des prêts accordés au Kenya qui ont explosé. Tant que le gouvernement ne restructurera pas la dette, la situation économique ne devrait pas changer, indique à l'AFP l'économiste Reginald Kadzutu.
Le Fonds monétaire international devrait revoir en mai les facilités de crédit accordées au pays qui devrait bénéficier en juin d'un décaissement d'autres prêts.
"Le problème, c'est que nous allons vers un endettement excessif" car "nous empruntons pour rembourser la dette", note Reginald Kadzutu. La Banque mondiale continue de son côté de tabler sur une croissance de 5,2% pour l'économie du Kenya.
Hempstone Monari et d'autres Kenyans affirment qu'ils ne sont pas près d'abandonner le combat. "Vous ne pouvez jamais rien obtenir dans ce pays à moins de crier", veut-il croire.
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