Nigéria
L'Afrobeats résonne partout en Afrique et désormais en Occident, où la jeunesse se déhanche sur les rythmes entraînants de Burna Boy, Wizkid et Tems. Mais à l'approche de la présidentielle au Nigeria, les stars de la pop sont bien silencieuses.
La nation la plus peuplée d'Afrique, qui élira le 25 février un nouveau président, est souvent réduite à l'insurrection de Boko Haram et des groupes djihadistes qui sévissent dans le nord-est, mais le Nigeria est aussi la première économie du continent et le berceau d'un genre musical qui enflamme la planète.
Les stars de l'Afrobeats gagnent des Grammys _(_Burna Boy, Tems), remplissent les plus grandes salles de concert dans le monde (Wizkid, Davido), explosent les compteurs de vue de Tik Tok (Rema, CKay) et enchaînent les collaborations avec les célébrités nord-américaines, comme Chris Brown, Justin Bieber ou Drake.
Ces célébrités sont autant adorées que l'élite politique nigériane âgée est détestée. Les politiciens, dont la corruption est quasi-endémique, sont perçus comme les responsables des dysfonctionnement du pays : manque d'écoles, d'électricité, de médecins, etc.
Pour cette présidentielle, où 40% des électeurs inscrits ont moins de 35 ans, les candidats des deux principaux partis sont des caciques de la vieille garde : Bola Tinubu, du parti au pouvoir (APC) a 70 ans, et Atiku Abubakar, du principal parti d'opposition (PDP) a 76 ans.
"Les chanteurs ont un pouvoir énorme sur la jeunesse, que les candidats n'ont pas", souligne Oris Aigbokhaevbolo, journaliste musical. Mais "ils font tout pour éviter un quelconque rapport avec la politique, surtout lors de l'élection présidentielle".
L'Afrobeats est né dans les années 2000, d'un mélange, entre autres styles, de l'Afrobeat (sans s) du légendaire Fela Kuti, musicien qui s'est battu toute sa vie contre la corruption, et de l'influence du hip-hop venu des Etats-Unis.
"Les premiers artistes étaient assez politiques, mais quand le genre s'est mis à rapporter beaucoup, les paroles se sont lissées", dit M. Aigbokhaevbolo.
Jusque récemment, les chansons étaient surtout des odes au capitalisme version "Naija", célébrant la réussite, les grosses voitures et les conquêtes féminines, ou des déclarations d'amour un peu mielleuses.
Mais un mouvement historique de protestation de la jeunesse, qui a éclaté en octobre 2020, a "donné une nouvelle dimension" au genre, selon le journaliste.
Alors que des milliers de jeunes protestaient dans les rues contre les violences policières et la mauvaise gouvernance, les stars de l'Afrobeats sont soudainement sorties de leur mutisme, affichant leur soutien sur les réseaux sociaux et bien plus encore.
Burna Boy avait acheté de gigantesques espaces publicitaires pour y afficher les slogans de ce mouvement ("EndSARS"). Davido avait mené une manifestation dans la capitale Abuja, où il avait posé le genou à terre face aux policiers, et Wizkid avait harangué une foule de Nigérians de la diaspora à Londres.
Après la répression sanglante du mouvement, de nombreux artistes avaient rendu hommage aux victimes, comme Burna Boy avec son morceau "20.10.2020", date où l'armée a tiré sur des manifestants à Lagos.
Mais depuis, le mutisme est redevenu la règle. "On ne les entend pas", renchérit Osikhena Dirisu, directeur des programmes de la radio The Beat. Ni lorsqu'il s'agit de soutenir les campagnes d'inscriptions sur les listes électorales, ou de soutenir un candidat en particulier.
"Cela me déçoit, ils nous ont mobilisés durant EndSARS, et aujourd'hui, aucun n'appelle les jeunes à aller voter, ou à soutenir Peter Obi, le candidat des jeunes", dit Ifiy, 30 ans, qui soutient l'outsider de cette présidentielle.
A 61 ans, cet ancien gouverneur, soutenu par une partie de la jeunesse et du mouvement EndSARS, s'est imposé comme un challenger crédible face à Tinubu et Atiku.
Mais hormis P-Square, le jumeaux auteurs de titres à succès dans les années 2010 comme "Alingo", les superstars affichant leur soutien à Obi sont rares, selon M. Dirisu. Les célébrités s'investissent peu en politique, "car au Nigeria, il vaut mieux ne pas se faire ennemi du pouvoir", selon M. Aigbokhaevbolo.
A contrario, les hommes politiques, eux, ont besoin de l'Afrobeats : "Une campagne électorale sans musique, c'est juste inimaginable."
Alors, dans les meetings, les enceintes crachent à la chaine les tubes du moment, utilisés le plus souvent sans aucun droit. Les refrains entraînants permettent de chauffer à bloc les partisans ou les foules d'indigents payés pour remplir les stades avant l'arrivée des candidats.
La musique permet aussi d'humaniser, voire rajeunir, les candidats, à l'image de Tinubu qui a fait le buzz pendant sa campagne en esquissant des pas de danse du tube "Buga" de Kizz Daniel.
Enfin, les artistes inconnus à l'international et qui peinent à monétiser leur musique, sont souvent rémunérés par les partis pour chanter lors de ces meetings, comme Portable pour le parti au pouvoir ou Timi Dakolo pour l'opposition.
Critiqués sur les réseaux sociaux, les deux artistes ont affirmé prendre l'argent... là où il se trouve.
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