Nigéria
Déjà quatre ans que Seyi Anne Moses n'a pas revu ses parents et autant de Noëls célébrés seule, loin des siens. Cette année ne déroge pas à la règle car au Nigeria, prendre la route est périlleux.
A deux mois jour pour jour de l'élection présidentielle, de nombreux Nigérians passent les fêtes de fin d'année à des centaines de kilomètres de leurs familles vivant dans les zones rurales.
Derrière cette perspective d'un nouveau Noël en solitaire, se cache un drame social : celui d'un pays, le plus peuplé d'Afrique, en proie à une grave crise économique et ravagé par des violences généralisées, les deux thèmes majeurs du scrutin du 25 février prochain.
La faute d'abord aux hordes de criminels, les "bandits", et leurs fusils brandis le long des routes.
"J'ai encore décidé de ne pas rentrer chez moi cette année à cause de l'insécurité, des meurtres, des kidnappings et des viols", explique Seyi Anne Moses, vivant avec ses trois enfants à Lagos, la capitale économique (sud-ouest).
Kidnappings et massacres
"J'ai peur quand je vois les photos de personnes tuées ou blessées sur les réseaux sociaux. La plupart des routes ne sont plus sûres", insiste Mme Moses, 44 ans, originaire de l'Etat de Kogi (centre).
Au Nigeria, qui compte 215 millions d'habitants, autant que le Brésil, pas une semaine ne passe sans que kidnappings et massacres ne fassent les gros titres de la presse.
"On dénombre plus de 10 000 victimes par an de gangs armés qui montent en puissance et de réseaux de kidnappeurs qui opèrent le long des principales routes du pays", explique Ikemesit Effiong, directeur de recherche du cabinet de conseil nigérian SBM Intelligence.
"Aucune région n'est épargnée", insiste M. Effiong, qui se dit "chanceux" d'avoir pu, il y a deux ans, rendre visite à ses grands-parents dans son Etat natal d'Akwa Ibom (sud-est).
Le pays est une mosaïque de dangers : des bandes armées ravagent le centre et le nord-ouest, les groupes djihadistes sévissent dans le nord-est et le sud-est est secoué par des agitations séparatistes. A tous ces groupes organisés s'ajoutent les simples malfrats, actifs partout, qui se tournent aussi vers les kidnappings par appât du gain.
Insécurité généralisée
Symbole de cette insécurité généralisée, la presse locale publie chaque année des cartes des "routes les plus dangereuses à éviter pendant Noël", équitablement réparties sur le territoire.
Car si des milliers de Nigérians affluent chaque jour vers les grandes villes en quête d'un avenir meilleur, notamment la trépidante Lagos, s'éloigner des centres urbains n'est pas une mince affaire.
Selon la Banque mondiale, 87% des routes rurales sont en mauvais état. Les hommes armés en profitent pour attaquer les voyageurs et les enlever, surtout près des forêts, utilisées comme repaires.
Et ceux qui pensaient que prendre le train était sûr ont été traumatisés quand, en mars, un train reliant la capitale Abuja à une ville du nord-ouest a été attaqué par des hommes armés, kidnappant au passage des dizaines de passagers.
Pour la troisième année consécutive, John Ishaya, 33 ans, ne rentrera pas auprès de son père et de son frère vivant dans le nord-est.
L'homme, chauffeur de profession, ne gagne que 100 euros par mois. Avec l'explosion des prix, notamment du carburant, son maigre salaire ne lui permet plus de prendre la route et encore moins l'avion. De toute façon, "je ne l'ai jamais pris de ma vie", concède-t-il.
Crise économique
Car outre l'insécurité, le Nigeria fait face à une grave crise économique et notamment une inflation de plus de 21%, un record depuis 2005. Des conditions économiques qui se sont détériorées au cours du deuxième mandat du président Muhammadu Buhari, qui ne se représentera pas en février, comme le prévoit la Constitution.
"La valeur de la monnaie (le naira) s'est effondrée, les revenus diminuent, les entreprises ferment, le chômage et le sous-emploi touchent plus de la moitié de la population active", insiste Ikemesit Effiong.
"Les prix des billets d'avion ont presque doublé", dit-il. "Même pour des standards nigérians, cette année, ce ne sera pas un Joyeux Noël."
Dans le monde, le Nigeria compte, avec l'Inde, le plus grand nombre de personnes en situation d'extrême pauvreté.
Mortalité infantile
Selon les derniers chiffres officiels, 63% des Nigérians (133 millions de personnes) souffrent de "pauvreté multidimensionnelle", indicateur qui prend notamment en compte la mortalité infantile, l'accès à l'électricité et à l'eau potable.
Originaire de l'Etat de Benue (sud-est) où vivent ses parents, Sandra Akusu restera seule à Lagos en cette fin d'année. La jeune femme, 19 ans, gagne 80 euros par mois.
"Je n'ai rien prévu pour Noël et mon anniversaire est le 25 décembre. Je voulais sortir avec des amis, mais j'ai dû annuler, imagine !", se lamente cette assistante maquilleuse. Et de constater : "En ce moment, tout est si dur."
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