France
Accusé de mener un mégaprojet pétrolier en Ouganda et en Tanzanie au mépris des droits humains et de l'environnement, TotalEnergies a rendez-vous mercredi devant le tribunal judiciaire de Paris. Le géant pétrolier et gazier est sommé par six ONG de respecter la loi qui lui impose un "devoir de vigilance" sur ses activités dans le monde entier.
L'audience sur le fond de cette affaire, la première portée devant la justice depuis une loi pionnière de 2017, se tient avec trois ans de retard. Et ce en raison d'une bataille procédurale finalement perdue par TotalEnergies.
Le groupe a été assigné en octobre 2019 par les Amis de la Terre, Survie et quatre associations ougandaises. Elles l'accusent de ne pas respecter la loi française dite du "Rana Plaza", du nom de l'immeuble qui s'est effondré en 2013 au **Bangladesh.**1.000 ouvriers avaient trouvé la mort dans des ateliers de confection au service de grandes marques occidentales.
Cette loi oblige les multinationales à "prévenir les atteintes graves envers les droits humains, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement" chez leurs sous-traitants et fournisseurs étrangers, par l'intermédiaire d'un "plan de vigilance".
Ce plan doit cartographier des risques et établir les mesures pour les prévenir. Mais son contenu est souvent jugé insuffisant par le monde associatif, qui fustige une application déficiente de la loi, faute de sanctions.
Saisi par les ONG, le juge civil peut condamner l'entreprise fautive à une astreinte financière jusqu'au respect de ses obligations.
"Vive résistance" locale
Dans le cas de TotalEnergies, les six ONG ont dans leur viseur deux chantiers colossaux intrinsèquement liés: le projet "Tilenga", un forage de 419 puits en Ouganda, dont un tiers dans le parc naturel des Murchison Falls. Le second concerne le projet EACOP (East African Crude Oil Pipeline), le plus long oléoduc chauffé au monde, destiné à transporter les hydrocarbures de Tilenga jusqu'à l'Océan indien en traversant la Tanzanie sur 1.445 km.
Ces projets sont entrés en pleine phase de construction en février. TotalEnergies avait alors annoncé un accord d'investissement de 10 milliards de dollars avec l'Ouganda, la Tanzanie et la compagnie chinoise CNOOC, pour produire dès 2025.
Découvertes en 2006, les réserves de l'Ouganda ont suscité l'espoir de transformer la région en Eldorado pétrolier. Elles peuvent durer entre 25 et 30 ans avec un pic de production estimé à 230.000 barils par jour.
Mais ces programmes, condamnés par le Parlement européen, le Vatican et quatre rapporteurs spéciaux de l'ONU, "font l'objet d'une vive résistance de la part des populations locales". C'est du moins ce qu'affirment les ONG, à l'origine d'un nouveau rapport d'enquête dévoilé début octobre.
"Le plan de vigilance de Total est totalement défaillant. Et même quand des mesures existent, les engagements sont beaux sur le papier mais nous constatons un écart complet sur le terrain", dénonce Juliette Renaud, des Amis de la Terre.
Opposants arrêtés
"Les personnes expropriées sont censées recevoir +une compensation juste et préalable+, mais dans les faits elles sont privées de la libre utilisation de leur terre avant", poursuit la militante. "Certains attendent depuis quatre ans, d'autres disent avoir dû céder sous la contrainte".
Le projet est aussi attaqué pour son impact climatique, estimé par les ONG "jusqu'à 34 millions de tonnes de CO2 par an", "bien plus que les émissions combinées de l'Ouganda et de la Tanzanie".
En Tanzanie, pays réputé pour sa biodiversité, l'oléoduc "impactera les terres de près de 62.000 personnes. "Il menacera plus de 2.000 kilomètres carrés de réserves naturelles", à proximité du lac Victoria, écrivent-elles.
Les associations dénoncent aussi régulièrement les arrestations d'opposants et le risque de marées noires, dans une région sujette aux tsunamis et aux séismes.
Ce projet "constitue un enjeu majeur de développement pour l'Ouganda et la Tanzanie", a répondu TotalEnergies. Le groupe assure mettre "tout en oeuvre pour en faire un projet exemplaire en termes de transparence, de prospérité partagée, de progrès économique et social, de développement durable, de prise en compte environnementale et de respect des droits humains".
La décision sera mise en délibéré.
Une tribune
Lundi, un collectif de personnalités politiques, scientifiques et de responsables d'ONG avait appellé dans une tribune "à stopper" le mégaprojet pétrolier du groupe TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie. Il précipiterait selon elles "le bouleversement climatique et son cortège de catastrophes meurtrières".
Parmi les signataires figurent plusieurs dizaines de personnalités dont des députés européens et français, des ONG ougandaise et tanzanienne, le coordinateur de la coalition internationale "StopEacop" Omar Elmawi, le président du Parti socialiste belge Paul Magnette, le premier secrétaire du Parti socialiste français Olivier Faure, des représentants de Youth For climate Paris, de Greenpeace France, de France Nature Environnement, des Amis de la Terre France.
Le président de la commission des conférences épiscopales de l'Union européenne, le cardinal Jean-Claude Hollerich, est également signataire, ainsi que plusieurs climatologues.
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