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Covid-19 : "L'Afrique n'est pas restée sans rien faire" [Entretien avec le Dr Nkengasong]

Le Dr John Nkengasong, directeur du Centre de contrôle et de prévention des maladies de l'Union africaine (CDC Afrique).   -  
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Interview

"Un an de Covid-19 en Afrique. Impacts et perspectives", c'est le nom du récent rapport publié par la Fondation Mo Ibrahim en amont du Forum Ibrahim. Un rendez-vous annuel qui s'est tenu début juin et auquel ont participé des acteurs éminents du continent africain. Pendant trois jours, ils ont exploré les impacts sanitaires, économiques, sociaux et politiques de la pandémie en Afrique.

Africanews s'est entretenu avec le Dr John Nkengasong, directeur du CDC Afrique, le Centre africain de prévention et de contrôle des maladies.

Raphaële Tavernier, Africanews : Dans quelle mesure la crise de la Covid-19 a-t-elle fragilisé le continent africain ? Sur le plan sanitaire, bien sûr, mais aussi économique et social.

Dr John Nkengasong, directeur du CDC Afrique : La crise de la Covid-19 a beaucoup touché l'Afrique, surtout sur le plan sanitaire. Aujourd’hui, on compte environ 140 000 morts, avec des taux de létalité de 2,7%. C'est à dire que sur au moins 100 personnes infectées, 3 personnes décèdent. On a tendance à penser que l'Afrique n'a pas été touchée par rapport aux autres régions du monde. Mais ce n'est pas le cas. 140 000 décès, c'est beaucoup en seulement 18 mois.

L'Afrique a aussi été touchée sur le plan économique. Il y a aussi de grandes craintes concernant la sécurité alimentaire de nos populations. Depuis un an, beaucoup d'enfants n'ont pas pu aller à l'école en Afrique. On manque de mots pour caractériser l'impact de la Covid-19 dans plusieurs secteurs en Afrique.

Renforcer les capacités africaines semble une priorité. Comment doit-on s'y prendre et quelles sont, selon vous, les mesures indispensables à mettre en œuvre ?

Dr John Nkengasong : Il y a au moins quatre mesures sur lesquelles les Africains, en partenariat avec nos collaborateurs, doivent vraiment focaliser leur énergie. D'abord, nous devons surtout renforcer les capacités de nos institutions de santé publique pour lutter efficacement contre cette pandémie et, bien sûr, les pandémies à venir. Deuxièmement, nous devons nous assurer que la formation des personnels de santé soit augmentée. Aujourd'hui, en Afrique, on compte moins de 3 millions de professionnels de la santé. C'est très peu par rapport à un continent d'1,2 milliard de personnes. L'Afrique doit être capable de fabriquer ses propres vaccins, les tests de diagnostics et les médicaments. Aujourd'hui, nous importons 99% de nos vaccins ! Donc, l'Afrique doit changer toutes ces données pour pouvoir se préparer à lutter contre cette pandémie et les futures pandémies.

"L'Afrique n'est pas restée sans rien faire"

Justement, parlons de la distribution des vaccins. L’Afrique a-t-elle une réelle stratégie continentale ? Où en est-on de l’initiative AVATT (Africa Vaccine Acquisition Task Team) par exemple ?

Dr John Nkengasong : L'initiative AVATT a connu un grand succès dans la mesure où au moins 400 millions de doses de vaccins de Johnson & Johnson ont été achetées. L'Afrique n’est pas restée sans rien faire! Donc avec cette initiative, je pense qu'on va redémarrer dans les semaines qui arrivent le programme de vaccination sur le continent.

L'Afrique comptait sur les mécanismes du Covax soutenus par l'OMS. Mais cela fait plusieurs mois que la distribution s'est arrêtée, notamment à cause de la situation en Inde. L'Afrique a pu vacciner moins de 2% de sa population, une population de 1,2 milliard de personnes.

400 millions de doses de vaccin ne nous permettront pas de vacciner 60% de la population, coéée nous l'espérerions. Une collaboration étroite avec les mécanismes du Covax reste nécessaire et importante.

Surtout que la situation empire. L'Organisation Mondiale de la Santé alerte sur la forte augmentation des contaminations sur le continent africain. Certains pays voient leurs cas doubler. Comment envisagez vous la situation sur le continent à court et long terme ?

Dr John Nkengasong : Nous sommes en train de traverser une période très difficile, dans la mesure où au moins vingt pays sont en train de subir la troisième vague de cette pandémie. Et on ne sait pas combien d'autres pays vont être frappés à leur tour.

On a également constaté que, dans ces pays, la sévérité des infections est plus grave que lors de la seconde vague. Cela veut dire que si le vaccin n'arrive pas, si le continent ne parvient pas à immuniser la population à temps, l'Afrique va continuer à avoir des difficultés à maîtriser la pandémie.

Toutes les régions en Afrique ne sont pas touchées de la même façon. Est-ce que vous pourriez dresser un état des lieux ?

Dr John Nkengasong : On constate que l'Afrique australe, surtout en ce moment, est en train de voir une augmentation significative. Peut-être parce que la sous-région sort de sa période estivale, période de fortes chaleurs au cours de laquelle les gens ne sortent pas facilement, ils restent à l’intérieur.

On constate ainsi une forte augmentation dans des pays comme l'Afrique du Sud, la Namibie, la Zambie... Il y a également une forte augmentation en Afrique du Nord , dans des pays comme la Tunisie ou l'Egypte. Par contre, en Afrique centrale et en Afrique de l'Ouest, on continue à observer une diminution du taux d’infection.

En résumé, les cinq régions de l’Afrique ne sont pas touchées au même niveau,

Est-ce que l'accent mis sur la lutte contre la Covid-19 compromet l'implication dans la lutte contre les maladies les plus meurtrières du continent : le paludisme, la tuberculose ou le VIH et le sida ?

Dr John Nkengasong : C'est évident que la lutte contre ces maladies en a été impactée. Prenons l'exemple du VIH : on constate une diminution de peut-être 40% des taux de dépistage depuis l'année dernière. Je crains que beaucoup de pays africains ne soient touchés par le virus à cause de cette crise.

Il y aura également beaucoup de morts liés au VIH en plus de ceux causés par la Covid-19. N'oublions pas que cette pandémie du VIH existe sur notre continent et n'a pas encore été maîtrisée.