Interview
Laurent Gbagbo revient en Côte d’Ivoire après une décennie d’absence. Un retour au bercail rendu possible par la confirmation de son acquittement en appel à la Cour Pénale internationale (CPI), où il était poursuivi depuis 2011 pour des violences post-électorales. Pour cerner les enjeux de ce retour, notre journaliste Serge Patrick Mankou reçoit Alafé Wikili, directeur général du quotidien L'Intelligent d'Abidjan.
La date de retour Laurent Gbagbo avait été annoncée de manière unilatérale par son clan alors que les négociations avec le pouvoir étaient en cours. Les autorités ont-elles été mises devant le fait accompli ?
La date a été donnée et le gouvernement a été mis devant le fait accompli. Il en a pris acte. On peut ainsi dire qu’il a été mis devant le fait accompli, mais sous réserve de noter qu'il a été informé préalablement de la date.
Pour le président Alassane Ouattara, que représente le retour au bercail de Laurent Gbagbo ?
Peut-être une défaite si on veut lui prêter une volonté d'éloignement définitif ou éternel de Laurent Gbagbo dans la vie politique nationale et aussi de son pays. Mais je ne pense pas que c'est son intention à long terme.
Pour les partisans de l'ancien président, son retour est un atout pour la décrispation du climat politique en Côte d'Ivoire. En quoi la présence de Laurent Gbagbo dans le pays pourrait aider, par exemple, à la réconciliation ?
Elle peut aider à poursuivre la réconciliation parce que les sentiments d'exclusion, d'injustice, de frustration, seront réduits. Mais en même temps ça appelle à plus de responsabilité. Les discussions seront plus ou moins directes et on ne pourra plus dire : "Gbagbo a dit. Le président Gbagbo a dit." Il y aura toujours des émissaires, des collaborateurs. Mais à un moment donné, il aura la possibilité, ou le président Bédié ou le président Ouattara, ou aussi ses militants, les uns et les autres, de rencontrer le président Gbagbo et de lui parler directement. Donc, la situation sera plus apaisée.
Laurent Gbagbo regagne son pays alors qu'il avait été condamné à 20 ans de prison en 2018 pour le braquage de l'Agence nationale de la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest. Les victimes de la crise politique de 2010-2011 réclament toujours justice. Comment concilier ces aspects avec la nécessité de la réconciliation nationale après son retour ?
S'agissant des victimes, il y a lieu de se pencher davantage sur leur sort en trouvant des mécanismes de satisfaction durables. Il y a lieu de se pencher durablement et profondément sur la question, que l'on soit du camp du président Laurent Gbagbo ou d'un autre camp. Relativement à la condamnation, je pense qu’il faut tenir compte du contexte général d'apaisement, et prendre les dispositions dans ce sens-là. Il y a trois niveaux : sans procédure actuelle il y a la non tentative d'exécution de la décision de justice. Les juges ne délivrent pas de mandat d'arrestation. Ensuite, le politique, peut soit donner une grâce, soit faire une loi d'amnistie.
Quel peut être l'intérêt, voire l'importance, de ce retour pour le continent africain ?
C'est l'importance d'être africaine qui est allée à La Haye, qui en est ressorti et qui est venue et vers qui on vient à Abidjan pour apprendre "comment tu fais, qu'est ce qui s'est passé" et qui raconte son histoire et qui fait le tour de l'Afrique pour parler de paix et de réconciliation, pour parler de la dignité des peuples d'Afrique.
Face à tous ces enjeux, ça ne doit pas un homme de clans dans une bataille de pouvoir pour la Côte d'Ivoire. C'est cet homme vers qui on doit venir pour ce qui doit venir. Pour être le sage en Côte d'Ivoire, le sage au Mali. Qui ne va pas au Mali en qualité de président de Côte d'Ivoire, mais d'Africain qui a gagné un combat. Qui va au Mali pour parler aux Maliens. Voici le Laurent Gbagbo que je veux voir. Un Laurent Gbagbo dont je rêve pour l'Afrique.
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