Sénégal
La colombophilie, qui en Europe pâtit d'une image de passe-temps pour retraités, connaît à l'inverse un essor au Sénégal, où une jeune génération se lance dans l'élevage de pigeons voyageurs, en espérant un jour rivaliser avec les meilleurs champions de Belgique ou du nord de la France.
Quand il s'introduit dans son petit colombier, sur le toit de son immeuble de la Médina, un quartier populaire de Dakar, Oumar Johnson, la trentaine, est obligé d'avancer penché. Parmi les dizaines d'oiseaux qui volent en tout sens dans l'espace confiné et malodorant, il en repère un et le saisit d'un geste sûr.
"Celui-ci, c'est Super King", le pigeon de concours le plus cher jamais vendu au Sénégal, dit-il avec fierté.
Oumar Johnson, qui préside la jeune Fédération Colombophile Sénégalaise (FCS), a dû débourser 420 000 francs CFA (environ 640 euros) pour acquérir aux enchères ce pigeon marocain au pedigree flatteur. Il espère créer avec Super King une lignée de champions quand il se reproduira.
Il élevait déjà des pigeons locaux pour le plaisir lorsqu'il a découvert, "il y a sept ou huit ans, sur internet", que certaines espèces était spécialement sélectionnées pour effectuer de longs voyages.
Sa passion pour la colombophilie était née. Depuis, c'est comme une drogue, et même un "mode de vie", dit ce scientifique de profession.
Née en Belgique, cette discipline s'est développée dans les cités minières et industrielles du nord de la France au début du XXe siècle.
Au Sénégal, les concours se tiennent généralement sur des distances de 100 à 250 km, soit nettement moins que les épreuves européennes les plus prestigieuses, mais les règles sont identiques : les pigeons sont lâchés d'un même endroit et doivent regagner leur pigeonnier le plus rapidement possible.
Des athlètes
La France compte encore quelque 10 000 colombophiles, dont 50 % dans le Nord et le Pas-de-Calais, mais leur nombre décline d'environ 2 % par an. En Belgique, où ils étaient 250 000 juste après la Seconde Guerre mondiale, il en reste environ 20 000, pour la plupart âgés.
L'irruption ces dernières années de riches collectionneurs venus de Chine, où posséder des pigeons de concours est signe de prestige, est venu bouleverser le petit monde colombophile.
Les élevages se sont professionnalisés et les prix se sont envolés. Le 15 novembre, un pigeon d'un élevage belge a été adjugé aux enchères à un acheteur chinois à un prix record de 1,6 million d'euros, lors d'une vente en ligne.
Le Sénégal est encore loin de ces sommets : le pays d'Afrique de l'Ouest ne compte que quelque 350 passionnés. Les pigeons s'échangent à partir de 10 000 francs CFA (15 euros) et gagner un concours ne rapporte que l'équivalent de quelques centaines d'euros.
Il n'empêche, "ce sont des athlètes, ils ont besoin de s'entraîner", explique à l'AFP un autre passionné, Moustapha Gueye.
Tous les jours, dès 7h, ce commerçant de 40 ans nourrit et soigne ses protégés, avant de les lâcher pour une séance d'exercices. Il s'essaye aussi à croiser mâles et femelles d'espèces étrangères et locales, en espérant développer une lignée des pigeons capables d'endurer de longue distances et de supporter la chaleur du Sénégal.
Vivre de sa passion
Il y a quelques semaines, plusieurs dizaines de colombophiles s'étaient donné rendez-vous à Dakar, en toute fin de soirée, pour un test grandeur nature juste avant le début de la saison officielle des courses.
Après les formalités d'enregistrement, les volatiles sont convoyés jusqu'à Diourbel, à 155 km plus à l'est, où ils sont relâchés à l'aube.
Quelques heures plus tard, l'un des participants, Mamadou Diallo, fait les 100 pas sur le toit de sa maison, quand soudain un pigeon apparaît.
L'électromécanicien de 33 ans joue d'un sifflet et agite une bouteille remplie de graines pour attirer l'oiseau vers le colombier. Il note ensuite soigneusement l'heure d'arrivée, que les juges compareront au temps des autres participants.
Son "rêve", dit-il, c'est "d'amener la colombophilie dans les greniers" du Sénégal. Mais aussi d'avoir "une grande ferme" d'élevage pour "vivre de (sa) passion", qu'il espère transmettre à ses enfants.
Au Sénégal, ces nouvelles générations, bien que souvent dépourvues de moyens financiers, représentent l'avenir de la colombophilie, estime Oumar Johnson.
"En Europe, on doit motiver les jeunes pour qu'il s'adonnent à la colombophilie. Ici, il se ruent", dit-il, en rêvant qu'un jour le Sénégal soit "l'une des grandes nations des pigeons de course".
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