Inspire middle east
Pour ce nouvel épisode d’Inspire Middle East, Rebecca McLaughlin-Eastham a interviewé en exclusivité le milliardaire Khalaf Al Habtoor, qui a fondé en 1970 le groupe Al Habtoor – l’un des conglomérats les plus prospères des Émirats Arabes Unis. Daleen Hassan a rencontré Sarah Beydoun, qui aide des femmes libanaises défavorisées avec sa marque Sarah’s bag.
Peu de PDG émiratis sont aussi francs que Khalaf Al Habtoor… Ce dernier n’hésite d’ailleurs jamais à s’exprimer sur Twitter, où il est suivi par plus de 63 000 personnes.
Après des débuts modestes, l’entrepreneur a bâti un empire économique, qui emploie près de 10 000 personnes. La valeur du groupe Al Habtoor dépasse désormais les 8,5 milliards de dollars.
Khalaf Al Habtoor n’éteint jamais son téléphone, et déclare ne pas aimer les weekends et les congés, car ils l’éloignent du travail. Une détermination sans faille, qui l’a sans doute aidé à gagner la confiance des dirigeants émiratis. Ces derniers ont confié au groupe Al Habtoor la construction d’aéroports, de bureaux, d’écoles et même des bâtiments iconiques, comme l’hôtel Burj Al Arab, à Dubaï.
Les activités du groupe dans l’immobilier et l’hôtellerie dépassent désormais le Moyen-Orient, pour atteindre le Royaume-Uni, l’Autriche, la Hongrie et les Etats-Unis. L’entreprise continue par ailleurs d’élargir ses activités dans le secteur de l’éducation, et dans la location de véhicules avec option d’achat (leasing).
À 70 ans, Khalaf Al Habtoor est toujours à la tête de cet empire. Il se lève tôt, joue au tennis tous les jours, et passe ses après-midi avec ses six enfants et ses 26 petits-enfants, qu’il décrit comme « son oxygène ». Mais le chef d’entreprise est également très actif sur Twitter. Il commente sans crainte la politique mondiale, et critique certaines décisions, comme l’introduction de la TVA aux Émirats Arabes Unis ou bien l’interdiction des appels vocaux sur Skype et WhatsApp.
Inspire Middle East s’est rendu dans le bureau de Khalaf Al Habtoor, pour l’interroger sur son entreprise, mais aussi sur l’économie régionale et mondiale.
Khalaf Al Habtoor : “Ma priorité c’est mon travail”
Rebecca McLaughlin-Eastham : Tout d’abord, comment vont les affaires pour le groupe Al Habtoor ?
Khalaf Al Habtoor : Ces dernières années ont été difficiles. C’est un fait, mais ça ne nous concerne pas nous uniquement, c’est difficile dans le monde entier. Mais cette année, il y a eu un léger signe de reprise. Toutefois, il y a eu d’énormes améliorations dans certains secteurs en terme de volume, si l’on prend en compte le leasing de voiture, qui est utilisé à plus de 90 %.
Quels secteurs nécessitent plus d’attention, fonctionnent moins bien ?
Sans aucun doute les hôtels. Nous avons beaucoup de lits à Dubaï, et je l’ai dit aux autorités. Les hôtels sont importants, ainsi que les magasins.
Vous avez dit aux autorités qu’elles devraient arrêter la construction, qu’il n’y a pas besoin de plus d’hôtels. Pensez-vous toujours cela ?
À 100%. Je l’ai dit hier, je le dis aujourd’hui, je le dirai demain : ça suffit. Nous continuerons à parler de cela aux autorités, car parfois, ils nous écoutent. Mais il y a beaucoup de choses à revoir, comme les taxes. Nous souhaitons retirer les 5% de TVA. Ce n’est pas le moment d’instaurer cette taxe.
La TVA de 5% sur les biens et services que vous avez mentionnée a été introduite en janvier de l’année dernière. Pouvez-vous nous dire pourquoi il s’agit d’une mauvaise idée, selon vous ?
Premièrement, car nous ne sommes pas habitués à ça. Et deuxièmement, car les gens qui visitent le pays ne sont pas habitués à ça non plus. Ils viennent ici car ils pensent que tout est exempté de frais, de taxe.
Qu’en est-il de l’impôt sur le revenu ? Que pensez-vous de cette mesure, qui pourrait être introduite ?
Je suis prêt à payer un impôt sur le revenu, au pourcentage qui sera décidé. Mais sur les bénéfices, pas sur les revenus. Si votre chiffre d’affaire est d’un milliard, mais que vous ne faites pas de bénéfice, la taxe serait calculée sur le chiffre d’affaires ? C’est une grande erreur.
Depuis plus de 20 ans, vous êtes favorable à une entrée en bourse de votre groupe. Une idée qui a refait surface ces dernières années. Le marché actuel est-il favorable ? Si non, quand le sera-t-il ?
Il y a quelques années, j’ai décidé l’entrée en bourse à 100%, mais ensuite, je n’ai pas pu dormir pendant trois jours, je tournais en rond, pour une raison simple … Si je fais une entrée en bourse à 30% du groupe, et qu’on ne fait pas d’argent, pas de bénéfices, qu’est-ce que je dirai aux actionnaires ? J’ai donc décidé que non, je les ai appelés immédiatement. J’ai dit de prévenir tout le monde qu’il n’y aurait pas d’entrée en bourse. Je ne pense pas à ça aujourd’hui, ni pour le futur. Je ne prévois pas cela, car je suis inquiet.
Vous avez des intérêts commerciaux aux Etats-Unis, et vous avez critiqué assez ouvertement le président Trump. Que pensez-vous de sa possible réélection ?
Il a amélioré l’économique américaine, et c’est important pour le peuple américain, qui a droit à ces améliorations. Mais en ce qui concerne sa politique étrangère … Je l’analyse, mais je n’y crois pas beaucoup. Si les Iraniens étaient raisonnables, ils prendraient l’avion pour venir ici, dans un pays du Golfe persique, afin de négocier la paix.
Ce que nous demandons ? De ne pas soutenir le terrorisme, les meurtriers, les drogues et toutes les choses dangereuses dans le monde. Même moi, je blâme le monde arabe. On ne peut pas critiquer uniquement les Etats-Unis et Donald Trump, j’accuse aussi le monde arabe. Il doit terminer ceci, pour nous permettre à nous, à nos enfants, et à leurs enfants, de vivre en sécurité.
Pensez-vous qu’il pourrait y avoir une guerre avec l’Iran ?
C’est un théâtre. C’est une mauvaise pièce de théâtre. C’est un jeu d’acteur stupide. Cela fait du tort à notre économie, et c’est l’objectif. Ils veulent nous vider les poches.
Comment la situation dans le détroit d’Ormuz affecte-t-elle votre société, dans le secteur de l’hôtellerie ?
On essaye d’éviter ce sujet, on essaye de ne pas trop en parler. Ils ont amené tous les navires de guerre du monde, les Chinois, les Russes, les Américains, les Britanniques, les Français, et que sais-je encore. Ils polluent notre mer. C’est aussi ça qu’a fait Donald Trump. Il devrait vraiment essayer de faire la paix, plutôt que faire des menaces vides de sens aux Iraniens.
Vous ne montrez aucun signe de ralentissement, vous êtes toujours très impliqué dans votre entreprise. Avez-vous pensé à votre succession ?
On m’a demandé un jour “Quelle est votre priorité : votre famille ou votre travail ?” Et bien sûr, ma priorité c’est mon travail, avant ma famille. Car votre famille ne veut pas de vous si vous n’allez pas travailler pour les nourrir et leur donner de l’argent. Ils ne se seraient pas là sinon. Si vous avez une femme, elle ne veut pas de vous si vous ne lui achetez pas des choses.
L’artisanat pour redonner confiance aux femmes
À Aley, sur les hauteurs du Mont Liban, des couturières s’attellent, jour après jour, à un minutieux travail de borderie. Les pièces colorées qu’elles manipulent avec attention deviendront bientôt des sacs à mains. Mais il ne s’agit pas seulement d’articles de mode : ils sont une véritable bouée de sauvetage pour ces femmes, en recherche d’une vie meilleure.
Aida Abdel Khalek dirige cet atelier depuis plus de 10 ans. Elle l’a d’abord créé pour aider son mari handicapé. Mais voyant les faibles perspectives d’emploi pour les femmes de son village, elle a ramené de Beyrouth ses compétences artisanales et a formé des couturières, pour donner naissance à une entreprise florissante.
« J’avais enfin atteint une stabilité financière, et je me sentais vraiment bien et libre, raconte Aida Abdel Khalek. Donc je voulais que d’autres femmes ressentent ça. À partir de là, j’ai commencé à travailler avec les villages ruraux, pour donner du travail aux femmes dans le besoin. J’ai constitué un grand groupe, et tout le monde en profite. »
Aida n’est pas la seule femme qui a réussi à transformer sa vie et celle de sa communauté, grâce à l’artisanat traditionnel. Cette nouvelle approche de la mode, on la doit à l’entrepreneuse libanaise Sarah Beydoun, fondatrice de la marque Sarah’s Bag, dans le centre de Beyrouth.
Sarah’s bag emploie des femmes issues de milieux défavorisés. Ces dernières fabriquent des accessoires en échange d’un salaire équitable.
Cette idée, Sarah l’a eue lorsqu’elle étudiait et qu’elle menait des recherches dans une prison pour femmes. Elle s’est rendu compte des difficultés que ces dernières rencontraient en détention, mais aussi à leur sortie de prison.
« Je me suis rendu compte que la seule façon pour les femmes de sortir de la misère, qu’il s’agisse de prostitution, de prison ou d’abus, c‘était par le travail, explique Sarah Beydoun. J’ai donc pensé que la façon la plus facile de former ces femmes, c’était par le travail manuel. C’est vraiment comme un programme de réhabilitation. Ce qu’il y a de bien, c’est que quand on donne de la force à une femme, elle fera la même chose avec 10 autres femmes, il y a un effet positif sur l’ensemble de la communauté. Une dame m’a dit un jour que la petite aiguille avec laquelle elle travaille est comme une épée avec laquelle elle peut affronter le monde. »
Depuis sa création, Sarah’s Bag s’est développé dans tout le Liban pour travailler avec près de 60 femmes détenues et 150 femmes des communautés rurales. Certaines gèrent désormais leurs propres ateliers et vendent leurs tissus à l’entreprise.
Les sacs de Sarah ont été portés par la reine Rania de Jordanie et par Beyoncé. Pour Sarah Beydoun, le futur de la marque réside dans le design sur-mesure.
« Les clients veulent acheter quelque chose de vraiment unique. Et si nous arrivons à les convaincre avec notre travail, je pense que le futur résidera dans la personnalisation des produits », explique la femme d’affaire.
En impliquant davantage les clients dans la vie de ces femmes, Sarah Beydoun espère porter son message plus loin que jamais.
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Arrêt sur images du 12 novembre 2024