Madagascar
Il faut franchir un portail en bois brinquebalant, traverser le petit potager de son quartier d’Antananarivo et là, le long d’un mur en briques rouges, derrière un enclos étroit de tôles ondulées plantées vers le ciel, se cache le secret de Volatiana.
“Lorsque je fais le compte, il y a environ huit foetus enterrés ici”, confie cette mère de famille malgache. Ainsi qu’un bébé né à sept mois de grossesse, ajoute-t-elle aussitôt. “Il criait lorsque je l’ai mis dans un sac plastique”.
Volatiana – son prénom a été modifié pour préserver son anonymat – les a tous portés.
Sur ce bout de terre qui ne laisse rien soupçonner de ses entrailles, elle soupire. “Ce que j’ai ressenti, c’est la délivrance (…) Avoir un autre bébé, ce serait l’enfer”.
A Madagascar, un pays majoritairement chrétien où le pape François est attendu vendredi prochain, l’avortement est illégal, y compris en cas de viol, et passible de dix ans de prison.
Mais avec six enfants à charge, une petite maison sans eau courante et un mari alcoolique, Volatiana “n’en peut plus”.
En cas de nouvelle grossesse, elle n’envisage qu’une seule décision: y mettre fin. Comme une femme sur quatre dans la Grande île, selon l’association Nifin’akanga, qui défend la légalisation de l’avortement.
Les femmes qui y recourent pratiquent en moyenne entre deux et huit avortements dans leur vie et sont issues de tous les milieux sociaux, précise l’une des fondatrices de l’ONG, Mbolatiana Raveloarimisa.
“Faiseuses d’ange”
Volatiana connaît plusieurs avorteuses – leurs noms ont été modifiés – ou “faiseuses d’ange”.
Dety, d’abord. Elle administre des tisanes de feuilles d’avocat, introduit dans le col de l’utérus une sonde ou une boule de nifin’akanga – une plante aux propriétés abortives – et prodigue des massages du bas ventre.
Lucie ensuite. La sage-femme retraitée pratique dans sa maison baignée d’odeurs d’urine, sur une bâche aux taches de sang séché. Après avoir prescrit des antispasmodiques, elle recueille le foetus, équipée d’un spéculum et d’une pince qui n’en finit pas.
Dety facture son intervention 10.000 ariary (2,5 euros), Lucie 200.000 ariary (50 euros).
Avec son salaire mensuel de 140.000 ariary, Volatiana a le plus souvent recours à Dety, sauf en cas de complications. Mais la procédure est longue – jusqu‘à trois jours – et très douloureuse.
“J’attends le vendredi pour aller avorter, comme ça je ne rate pas de jour de travail”, raconte la domestique menue de 44 ans.
“Le week-end, je continue chez moi à prendre des tisanes et à me masser le ventre”, explique-t-elle le visage crispé, souvenir des douleurs endurcies. “Quand je suis sur le point d’avorter, je demande à mes enfants de sortir jouer dehors.”
Dans ces conditions d’hygiène inexistantes, Volatiana “remercie Dieu d‘être encore en vie”. “Une fois j’ai avorté de jumeaux. J’ai failli mourir.”
“Hypocrisie”
A Madagascar, pays pauvre de 26 millions d’habitants, trois femmes meurent chaque jour des suites d’un “avortement spontané ou provoqué”, selon Lalaina Razafinirinasoa, responsable de l’association Marie Stopes.
Tous les ans, l’ONG prend en charge 20.000 victimes de complications d’un avortement pratiqué avec de la peau de banane roulée en boule, du nifin’akanga, un cintre, voire de l’eau de javel ou des cendres froides.
Outre les hémorragies et infections, “le plus grand risque est la perforation d’organes”, explique le Dr Anderson Randriambelomanana, chef de service à la maternité de l’hôpital Andohatapenaka, à Antananarivo.
Les hôpitaux publics prennent en charge ces complications. “Notre devoir est de soigner, pas de dénoncer”, plaide-t-il.
Une pure “hypocrisie”, s’indigne Mbolatiana Raveloarimisa. “Pourquoi ne pas prendre en charge les femmes avant ces complications, au lieu de les envoyer à l’abattoir ?”
Volatiana pourrait éviter ces cauchemars successifs avec un contraceptif. Mais une consultation, c’est une demi-journée de travail perdu, avance-t-elle.
La politique de planning familial à Madagascar, où le taux de fécondité dépasse 4 enfants par femme, est un échec. “Les barrières sont financières, culturelles et liées à la disponibilité des contraceptifs”, énumère Lalaina Razafinirinasoa.
Les hôpitaux publics en proposent bien gratuitement, mais l’offre est très insuffisante.
“Peurs et rumeurs”
Un cinquième des femmes qui souhaitent avoir accès à la planification en sont privées, selon Marie Stopes.
D’abord pour des raisons de coût. Un stérilet chez Marie Stopes coûte 2.000 ariary, un implant 5.000 ariary. “2.000 ariary, ce peut être la moitié du salaire journalier d’une vendeuse ambulante”, explique Lalaina Razafinirinasoa.
Et puis dans l’imaginaire malgache, les contraceptifs continuent à entretenir toutes les peurs. Pour de nombreuses femmes, ils font grossir ou provoquent paludisme et cancer.
Autre frein à la contraception, les femmes dépendent souvent du consentement de leur mari. Dans la société malgache, “l’homme est un demi-dieu” et “la femme doit se plier à ses volontés”, explique Mbolatiana Raveloarimisa.
“S’il a besoin de moi (sexuellement), quelle que soit l’heure, je m’exécute”, témoigne Volatiana. “Si je refuse, il me frappe et me met dehors”.
En 2017, le Parlement malgache a confirmé l’interdiction de l’avortement. Les poursuites restent toutefois rarissimes.
Dans un pays où le pape exerce une grande influence sur les dirigeants, les pro-avortement se prennent à rêver, sans trop d’illusions, que François profite de sa visite pour amender le discours de l’Eglise catholique contre l’IVG.
“Pourquoi quelqu’un qui n’a pas d’utérus, qui n’a pas de fille, qui n’a pas de femme a des lois à dicter aux femmes ?”, enrage Mbolatiana Raveloarimisa.
En attendant un improbable changement législatif, Volatiana doit vivre avec son lourd secret. “Des fois, je dépose des fleurs” dans le cimetière aux foetus, confie-t-elle. Elle leur parle, aussi. “Je prie pour qu’ils comprennent mes choix”.
AFP
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