France
Immobile sur sa chaise, la Soudanaise Ranya écoute ses avocats et les représentants de l'Etat français débattre du cas de ses deux filles, bloquées depuis des semaines à la frontière soudano-égyptienne malgré une procédure de réunification familiale validée par la France.
La scène, lors d'une audience mardi au Conseil d'Etat, le juge administratif suprême français, met face à face une administration démocratique, procédurière, parfois ubuesque, et une réfugiée dans l'angoisse de faire sortir ses deux enfants d'un pays en guerre.
Ranya, journaliste soudanaise exilée en France depuis 2020, qui ne souhaite pas que son nom de famille soit dévoilé, a obtenu le statut de réfugiée en février 2022 et déposé une demande de réunification familiale à l'été 2022, qui lui a été accordée.
En juillet de cette année-là, les passeports de ses filles Aya et Omnia, 17 et 9 ans, sont remis à l'ambassade de France à Khartoum pour obtenir les visas. Mais la demande traîne, et neuf mois plus tard, le 15 avril 2023, une guerre entre l'armée et les paramilitaires éclate.
La France, après avoir évacué près d'un millier de personnes, étrangers et Soudanais, ferme son ambassade le 24 avril, et détruit les données à caractère personnel, dont les passeports en attente de visa, une "procédure habituelle dans ce type de situation", précise le Quai d'Orsay.
Munies de passeports périmés, les filles de Ranya fuient Khartoum ravagé par la guerre et, accompagnées de leur grand-mère et de deux tantes, partent pour Wadi Alfa, ville à la frontière égyptienne, où ont afflué des dizaines de milliers de Soudanais espérant passer en Egypte.
Les deux filles vivent dans une totale précarité depuis des semaines, "dans la rue": "Il n'y a pas de camp pour les réfugiés. Manger, se laver, tout est un problème", raconte à l'AFP Ranya dans un mélange de français et d'anglais.
Saisi en urgence le 12 juin par ses avocats, le tribunal administratif de Nantes (Ouest) a enjoint aux autorités françaises de faire parvenir dans les 72 heures des laissez-passer aux deux mineures, pour leur permettre d'entrer en Egypte et de rejoindre leur mère en France.
Mais rien ne s'est passé. "J'ai contacté et recontacté les autorités, envoyé des mails et reçu des réponses automatiques d'absence pour vacances", déplore Me Heloïse Cabot, une avocate de Ranya, qui a saisi une nouvelle fois la justice fin juin pour faire constater l'inaction de l'Etat, mais a cette fois été déboutée.
Mardi, le cas est arrivé devant le Conseil d'Etat. Et l'audience a rapidement tourné au dialogue de sourds entre les avocats de la requérante et la représentante du ministère de l'Intérieur. Personne ne conteste la nécessité et la validité de la réunification familiale, soulignent-ils tous, ce qui rend la situation de ces deux enfants presque plus absurde.
Le ministère de l'Intérieur a produit, comme lui ordonnait la justice, des laissez-passer consulaires. "Mais il est confronté à l'impossibilité matérielle de leur remettre", dit sa représentante, invoquant notamment l'aspect sécuritaire et "l'impossibilité" - contestée par les avocats - pour des agents consulaires français de se rendre à Wadi Halfa afin de remettre les documents aux deux mineures.
"Le ministère de l'Intérieur a rempli ses obligations, on ne peut pas faire plus", ajoute-t-elle, renvoyant la balle au ministère des Affaires étrangères - absent à l'audience - ou estimant même qu'il revient aux deux jeunes filles "de faire les démarches nécessaires" pour obtenir leur laissez-passer.
"Vous invoquez l'impossibilité de faire ces démarches pour des agents consulaires français et vous demandez à deux enfants de le faire ?", s'exclame Me Cédric Uzan-Sarano, en évoquant aussi la possibilité d'agir par l'intermédiaire d'ONG. "On ne vous demande pas de faire un raid sur Entebbe !", ironise-t-il, en faisant référence à une opération commando d'Israël en 1976 pour libérer des otages sur l'aéroport ougandais.
"Aujourd'hui il y a urgence extrême à sortir ces deux jeunes filles. La vraie question, c'est : l'Etat français fait-il tout ce qui est en son pouvoir pour les mettre en sécurité ?" interroge-t-il. Selon Me Cabot, une quinzaine de dossiers de Soudanais, bloqués au Soudan ou en Ethiopie, dont les passeports ont été détruits ou les visas sont restés en suspens, sont en attente.
Le Conseil d'Etat devrait rendre sa décision d'ici à la fin de la semaine. La guerre au Soudan a fait au moins 3 000 morts et trois millions de déplacés et réfugiés.
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