France
Avec son film aux frontières du réel sur la radicalisation de deux jeunes Tunisiennes. Première cinéaste de ce pays en compétition depuis un demi-siècle, Kaouther Ben Hania a ému la Croisette.
Présenté vendredi à Cannes, "Les filles d'Olfa", en lice pour la Palme d'or, n'a laissé personne indifférent.
Ni une fiction, ni totalement un documentaire, il plonge le spectateur dans l'histoire vraie d'Olfa Hamrouni, une mère de famille tunisienne qui a acquis une notoriété internationale en 2016 en rendant publique la radicalisation de deux de ses adolescentes, Rahma et Ghofrane.
Les deux sœurs sont parties combattre aux côtés de l'organisation État islamique en Libye, où elles ont toutes deux été arrêtées et incarcérées.
Dès les premières minutes, le spectateur comprend qu'il est face à un dispositif singulier où évoluent notamment la mère de famille ainsi qu'une actrice jouant son rôle. Par moment, la réalisatrice est même directement interpellée par ses acteurs.
"Ce projet est aussi un film sur le cinéma, sur le travail d'acteur et sur les souvenirs du passé", explique à l'AFP la réalisatrice révélée au grand public grâce à son thriller sur une victime d'un viol "La belle et la meute", présenté hors compétition à Cannes en 2017.
"Laboratoire thérapeutique"
Brouiller les frontières entre le réel et la fiction, la cinéaste le fait depuis ses débuts. Son premier long-métrage, "Le Challat de Tunis", Kaouther Ben Hania l'avait qualifié de "documenteur".
Dans le cas des "filles d'Olfa", la cinéaste raconte s'être intéressée à cette histoire dès 2016 sans "trop savoir ce qu'(elle) allai(t) faire".
Ce n'est que pendant le confinement de mars 2020 qu'elle comprend comment mener son projet à bien.
"Ce qui me manquait pour comprendre leur départ en Libye, c'était le passé. Ce passé, je ne pouvais que le reconstituer à l'aide d'actrices. C'est ce que j'ai fait", détaille-t-elle.
"Il y a eu beaucoup d'émotions. Beaucoup de choses qui n'avaient jamais été dites ont pu enfin être dites au grand jour", assure-t-elle.
Avec ce film, Kaouther Ben Hania convoque frontalement les démons du terrorisme: "Je voulais explorer la transmission de la violence. Cette violence qu'on se transmet de mère en fille et qui n'est pas le propre de la société tunisienne".
Une transmission vécue telle une "malédiction". Surtout, elle montre comment cette société patriarcale qui annihile les femmes est souvent orchestrée par les mères.
"Le nouveau monde n'arrive pas encore"
Sur le terrain politique, elle raconte la Révolution du jasmin de 2011 et l'inexorable montée des islamistes. "Le nouveau monde n'arrive pas encore", répond-elle lorsque l'AFP lui demande son avis sur la situation politique de la Tunisie actuelle.
Reste qu'il "y a quand même une liberté d'expression et une absence de censure qui a permis aux artistes de prendre la parole et de s'exprimer, ce qui n'est pas le cas partout dans la région", estime-t-elle.
Liberté qui a aussi rendu possible l'émergence "d'une nouvelle génération de cinéastes" dont Youssef Chebbi ou Erige Sehiri.
Après avoir été la première cinéaste de son pays à le représenter aux Oscars avec le film "La belle et la meute" en 2021, la prochaine étape est-elle la Palme d'or ? "On verra", dit-elle dans un sourire. "On est déjà tellement contents d'être là".
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