Interview
Depuis cinq ans, maintenant, Africanews ambitionne d’être une nouvelle "voix" médiatique indépendante, fiable et rapide sur le continent africain. Elle y parvient en donnant la parole à celles et ceux qui sont et font l’Afrique, les anonymes comme les acteurs de l’émergence du continent.
Le Dr Mo Ibrahim est réputé, notamment, pour son combat pour la bonne gouvernance en Afrique depuis maintenant dix ans. Sa fondation récompense "le leadership d'excellence en Afrique" via un prix désormais mondialement connu. Il était l'invité d'Africanews pour parler du continent africain, de son évolution et de son avenir.
Raphaële Tavernier, Africanews : Mo Ibrahim, votre fondation publie tous les deux ans un baromètre global sur la gouvernance en Afrique. Le dernier rapport, en 2020, se voulait plutôt alarmiste. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Mo Ibrahim, président de la Fondation Mo Ibrahim : Nous avons actuellement le problème de la pandémie, qui menace non seulement la santé de nos populations, mais aussi notre situation économique. Et pour la première fois en plus de 25 ans, nous avons commencé à voir une récession en Afrique, et ce, alors que l'Afrique était en croissance continue au cours des 25 dernières années. Bien sûr, il s'agit de la Covid-19 et de ses effets, qui ne sont pas seulement limités à l'Afrique, mais partout. Mais la pandémie nous fait très mal parce que nous n'avons pas l'espace fiscal dont disposent d'autres pays et qui leur a permis d'emprunter massivement pour soutenir leurs citoyens et leurs entreprises.
Il n'y a aucun soutien de ce genre en Afrique, que ce soit pour nos entreprises ou pour nos citoyens. Nous demandons à ces derniers de rester à la maison et ils ne peuvent malheureusement pas gagner d'argent, alors qu'en Europe et ailleurs, les gens restent chez eux et perçoivent leur salaire.
De manière plus générale, dans quelle mesure le continent africain s'est-il, selon vous, amélioré ou a-t-il régressé au cours des cinq dernières années ?
Mo Ibrahim, président de la Fondation Mo Ibrahim : En fait, c'est un tableau mitigé pour l'Afrique. Malheureusement, au cours des dernières années, nous avons constaté une détérioration des droits des citoyens, de la participation et de la démocratie. C'est vraiment regrettable. Et cette tendance s'est renforcée pendant la Covid-19, car certains dirigeants utilisent aussi les mesures de restrictions liées à la crise sanitaire pour faire passer des lois plus répressives. On voit des gens qui interdisent à leurs opposants politiques d'organiser des rassemblements publics alors qu'ils tiennent eux-mêmes leurs propres meetings politiques, etc. Il y a eu de la répression et le paramètre de la crise sanitaire a été utilisé à mauvais escient dans certains cas.
D'un autre côté, il y a quelques points positifs. Nous voyons qu'il y a un développement dans le domaine des infrastructures et du développement humain en général et cela continue de progresser. Mais nous sommes préoccupés par l'État de droit, la transparence et les droits des citoyens qui, en général, se sont malheureusement détériorés.
La gouvernance se limite-t-elle au respect de la démocratie, au droit et à la transparence ?
Mo Ibrahim, président de la Fondation Mo Ibrahim : La démocratie et l'État de droit sont très importants et nous devons vraiment leur accorder beaucoup d'attention. Mais ce n'est pas tout. Les gens ne peuvent pas manger la démocratie. Si nous avons une démocratie, mais qu'il n'y a pas de nourriture sur la table ou qu'il y a une famine, qu'allons-nous faire de la démocratie ? Nous ne pouvons pas la manger. Il est important de créer des emplois, d'améliorer l'éducation et la santé, le développement économique. Les gens doivent avoir accès à l'eau potable et à l'électricité.
La gouvernance est un rassemblement de biens publics, il s'agit de l'économie, du développement humain, mais aussi de l'État de droit et de la démocratie, et nous devons voir des progrès dans chacun de ces aspects. Aucun compromis n'est possible.
Plusieurs pays africains sont en proie à d’importants troubles, le Tchad, la Somalie et l’Ethiopie notamment. Certains dirigeants africains s’accrochent au pouvoir, les conflits se multiplient. Il y a aussi l’impact de la pandémie et la question migratoire. Face à tous ces paramètres, que pensez-vous que l'avenir réserve à l'Afrique dans les cinq prochaines années ?
Mo Ibrahim, président de la Fondation Mo Ibrahim : Chaque crise a son côté positif. Elle nous permet de remettre les compteurs à zéro. Nous devons dorénavant nous poser et réfléchir à la manière dont nous allons avancer à partir de maintenant. Il est important de revoir notre mode de développement et de l'orienter dans la bonne direction pour avoir une autosuffisance raisonnable sans interrompre les routes commerciales. Avec la pandémie, tout d'un coup, nous avons eu un problème.
Nous avons vraiment besoin de reconstruire une économie plus résiliente et aussi, je l'espère, une économie plus verte. Un autre des grands changements concerne nos jeunes. La majorité de nos populations sont jeunes. Nous devons prêter attention à eux. On ne veut pas perdre plus de personnes dans le Sahara ou en Méditerranée. Nous devons créer des emplois et améliorer l'éducation. Et cela devrait être une éducation pour l'emploi. Nous devons développer les compétences, nous avons besoin de plus d'écoles techniques, parce que c'est une éducation pour l'emploi. Les gens peuvent trouver du travail grâce à elle. Il est important d'écouter les jeunes, car l'avenir leur appartient, pas à nous, les anciens.
Le problème en Afrique, c'est que nous avons beaucoup de vieux hommes qui dirigent le continent. Et ce n'est pas vraiment utile. Nous devons aller de l'avant et construire un gouvernement plus progressiste, plus jeune, plus actif, qui se concentre réellement sur le développement à la fois de nos ressources humaines et de nos ressources naturelles. Et nous avons besoin de paix. Nous avons besoin de la paix en Afrique parce que les conflits détruisent le développement et nos chances d'aller de l'avant.
Africanews fête ses cinq ans d’existence. Une chaîne panafricaine permettant d’avoir accès à une information indépendante, fiable et pertinente et qui surtout donne la parole aux Africains est-elle indispensable aujourd’hui pour le continent ?
Mo Ibrahim, président de la Fondation Mo Ibrahim : Nous avons besoin de plus en plus de médias indépendants, car c'est très important. À notre époque, où il y a tant de mégaphones, il faut des plateformes vraiment fiables et décentes. Nous avons besoin de la vérité, nous avons besoin des faits, et nous avons besoin d'espoir.
Aller à la video
Présidentielle au Ghana : décès de la candidate Akua Donkor, du GFP
01:14
Ouganda : un ancien chef rebelle condamné à 40 ans de prison
01:26
Égypte : le FMI prévoit une croissance du PIB
01:17
Kenya : Gachagua hospitalisé, l'audience de destitution suspendue
00:53
Afrique du Sud : Zuma officiellement exclu de l'ANC
01:43
Ouganda : des dizaines d'arrestations lors de manifestations "illégales"