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RDC : dans les camps de Goma, la prostitution, les viols ou la faim

RDC : dans les camps de Goma, la prostitution, les viols ou la faim
Des femmes se rassemblent sur une colline dans le camp de déplacés à la périphérie de Goma, dans l'est de la RDC, le 2 octobre 2023   -  
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ALEXIS HUGUET/AFP or licensors

République démocratique du Congo

Patricia* a 15 ans et le regard dur. Comme des milliers de filles et de femmes ces derniers mois, elle a été violée en cherchant de quoi nourrir sa famille autour des camps de déplacés de Goma, dans l'est de la République démocratique du Congo.

Assise sous une tente de Médecins sans Frontières, enceinte, elle cache son visage dans son foulard alors que sa mère prend la parole. "À cause de la faim, je l'ai envoyée chercher des pommes de terre dans notre village", puis "des voisins ont dit qu'elle avait été capturée, je pensais qu'elle était morte..."

Le village s'appelle Mushaki et, en février, Patricia, sa mère, ses six frères et sœurs et une bonne partie des habitants ont fui en abandonnant tout derrière eux.

Lové dans un col à plus de 2 000 m d'altitude, à une trentaine de kilomètres à l'ouest de Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu, ce bourg a été le théâtre de combats entre d'un côté l'armée congolaise et des milices locales et, de l'autre, les rebelles du M23 épaulés par l'armée rwandaise.

Réapparue fin 2021, cette ancienne rébellion majoritairement tutsi s'est emparée de larges pans de la province, provoquant la fuite de plus d'un million de personnes.

Hommes armés

Matelas et casseroles empaquetés sur la tête - quand ils ont eu le temps de ramasser quelques affaires - ces déplacés sont ballottés au gré des violences dans des zones où des "hommes armés", militaires comme miliciens, les rackettent ou les agressent.

Un mercredi de fin septembre, Patricia est réapparue dans le camp. Elle a raconté avoir été emmenée dans une base de miliciens hutu et violée pendant plusieurs semaines par l'un d'entre eux. Un matin, elle a feint d'aller chercher de l'eau et a réussi à s'échapper.

En face d'elle et de sa mère, Sandra Kavira écoute. Cette jeune Congolaise de 28 ans est travailleuse sociale chez MSF. Des témoignages comme celui de Patricia, elle en a entendu "des centaines" depuis sa prise de poste en juillet dans le camp de Rusayo, un des plus grands de la ville.

"Ici, on reçoit au moins dix nouveaux cas par jour, même des petites filles de 4 ans et des grands-mères de plus de 80", explique-t-elle, visiblement affectée.

Armelle Zadi, sa superviseure, se souvient d'une patiente qui ne pouvait plus se déplacer et restait alitée après avoir subi "un troisième viol collectif". "Sa fille n'a pas eu d'autre choix que se prostituer pour nourrir la famille""Les femmes sont prisonnières d'un cycle de misère", lance-t-elle.

Violences sexuelles

Chaque jour, "environ 70 femmes victimes d'agressions sexuelles - soit plus de 2 000 par mois -, se présentent dans les structures que nous avons mises en place", explique Brian Moller, coordinateur des urgences de MSF à Goma. "Ces chiffres ne représentent qu'une partie de la réalité, puisqu'il s'agit uniquement des consultations réalisées dans les sites où MSF intervient", insiste-t-il.

Les violences sexuelles sont un fléau dans l'est de la RDC depuis près de 30 ans.

Emmaillotée sur les genoux de sa mère, Queen tète paisiblement_._"Ça s'est passé la première fois que je suis sortie du camp", explique Charmante*, 18 ans et maman depuis un mois. Tout en allaitant, elle continue son récit : "il portait une tenue FARDC (Forces armées congolaises), quand il a fini je ne pouvais plus marcher, c'est mes amies qui m'ont portée pour me ramener au camp".

Comme sa sœur de 19 ans et au moins deux de ses amies, Charmante a été violée alors qu'elle ramassait du bois dans le parc des Virunga (au nord de Goma) pour le revendre et acheter de quoi nourrir ses frères et sœurs.

Une semaine après, elle se rend dans un poste de santé de MSF où elle est "testée positive à la grossesse", selon ses mots. Sa mère s'oppose à l'avortement. La petite Queen naît quelques mois plus tard. Une bouche de plus à nourrir.

Aide humanitaire

Certaines des femmes violées rencontrées par l'AFP avaient reçu de l'aide humanitaire, d'autres non. Toutes ont dû, à un moment donné, choisir entre le risque d'être violées ou souffrir de la faim avec leurs enfants.

En novembre dernier, Rose, 43 ans, a marché pendant trois jours avec ses sept enfants pour échapper aux rebelles du M23 qui entraient dans Kiwanja (environ 70 km au nord de Goma). Depuis, elle vit à Rusayo et dit n'avoir reçu aucune aide.

Ses yeux se brouillent, sa gorge se noue. Sandra Kavira écoute pendant que Rose remonte le fil de sa vie. Une vie de violence, de grossesses, de coups de poing, de fausses couches et de miliciens.

Déjà victime d'un viol collectif en 2017 - devant son mari, qui la battra quotidiennement par la suite -, elle connaît les risques de sortir des camps pour aller "chercher du bois".

Elle s'y résigne au mois de juin : "Nous étions trois amies, ils étaient quatre hommes en tenue FARDC. Nous avons toutes été violées".

Avant de l'abandonner avec leurs sept enfants dans la boue du camp de Rusayo, son mari la bat une dernière fois pour lui faire payer ce deuxième viol et disparaît.

Sous la tente de MSF, Rose essuie ses larmes et serre son petit Jean de 4 ans dans ses bras. "Dans le camp, on a du mal à en parler. Mais ici, on retrouve des voisines, des filles que l'on connaît, et on se dit : ah... toi aussi ?"

(*) Les prénoms des victimes ont été changés

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