Ethiopie
"Le fait que nous soyons exclus du système et que l'Éthiopie, ses agriculteurs et ses habitants ne bénéficient pas du tout de l'exploitation du teff est quelque chose que nous ne devrions pas accepter. Et personnellement, je ne l'accepte pas". Yonas Alemu est un entrepreneur éthiopien engagé auprès des agriculteurs pour les aider à tirer profit de la commercialisation du teff, la plus petite céréale du monde, originaire de la Corne de l'Afrique.
Dans cet épisode, nous partons en Éthiopie à la rencontre de Yonas Alemu pour découvrir comment son entreprise de transformation du teff, Lovegrass, lutte contre la biopiraterie, c'est-à-dire l'exploitation sans autorisation des connaissances indigènes.
Depuis les entrepôts de Lovegrass jusqu'aux champs de teff, nous avons discuté avec des Éthiopiens pour comprendre les difficultés rencontrées dans la production de cette plante indigène et pour explorer les solutions qui se dessinent pour eux.
Comme toujours dans La Surprise du Chef, la gastronomie locale a joué un rôle clé dans notre voyage... Cette fois, nous avons goûté le chechebsa, un plat éthiopien servi au petit-déjeuner, à base de teff bien sûr !
Yonas Alemu et son combat contre la biopiraterie
"Quand j'étais enfant, en Éthiopie, j'ai grandi dans un foyer d'agriculteurs où l'on cultivait le teff", raconte Yonas Alemu lors de notre rencontre dans son usine près d'Addis-Abeba, la capitale de l'Éthiopie.
Dans les années 1980, il a quitté sa famille pour poursuivre ses études en Europe, puis a commencé à travailler dans la finance. En 2015, une prise de conscience soudaine a changé le cours de sa vie : "Le teff devenait de plus en plus populaire dans les supermarchés britanniques mais pas un seul kilogramme ne provenait d'Éthiopie ! Il était cultivé en Amérique, en Afrique du Sud, en Espagne et en Australie".
Ce phénomène est également connu sous le nom de biopiraterie, un concept encore méconnu que l'avocat Patrik Agejo, spécialiste du sujet, décrit comme "l'exploitation et la commercialisation de ressources biologiques sans compensation pour le propriétaire d'origine de ces plantes".
Cette exploitation favorise généralement les pays occidentaux au détriment de pays marqués par l'instabilité politique et économique, comme l'Éthiopie.
Ainsi, en 2003, après avoir mené des recherches avec l'État éthiopien, une entreprise néerlandaise a déposé un brevet controversé sur la farine de teff. En 2020, suite à un procès intenté par le gouvernement éthiopien, la licence de l'entreprise a été invalidée.
Malgré cette victoire, il n'existe aucune réglementation internationale sur la biopiraterie. Cette absence de cadre juridique menace la capacité des agriculteurs éthiopiens à exploiter commercialement leurs cultures traditionnelles. C'est ainsi que Yonas Alemu s'est engagé à soutenir la production de teff.
Bien que l'Éthiopie en soit aujourd'hui le principal fournisseur au niveau mondial, la culture de cette céréale reste sous-exploitée : "Il est possible d'obtenir jusqu'à 3,2 tonnes par hectare. Actuellement, la productivité au niveau national n'est que de 1,8 tonne par hectare" explique Taye Tadesse, expert de l'Institut éthiopien de recherche agricole.
Les raisons de cette moindre productivité sont structurelles : les agriculteurs éthiopiens dépendent des bœufs et des vaches pour leur récolte et ont rarement accès aux machines. Ils ne bénéficient pas non plus d'autres variétés de la céréale, qui peuvent être cultivées plus facilement. Yonas Alemu, qui a grandi dans un foyer d'agriculteurs, est conscient des conditions difficiles dans lesquelles les cultivateurs doivent travailler.
"Nous avons grandi avec une sensation que nous appelons le kachi kachi. Cela faisait comme une pierre dans le ventre lorsque nous mangions notre injera (pain plat à base de teff)", explique le chef d'entreprise. "En fait, les vaches marchent sur les céréales si elles se trouvent sur le sol. Et lorsque les agriculteurs collectent le teff, du sable fin se retrouve dans l'emballage".
Cette situation empêche les agriculteurs éthiopiens de vendre leurs produits sur le marché... et c'est là que Lovegrass intervient ! L'entreprise collabore avec trois groupements d'agriculteurs et leur propose une formation ainsi que des variétés de semences pouvant être plantées à l'aide de machines.
"Avec tous ces engagements, nous permettons aux agriculteurs de produire davantage et nous leur donnons la capacité de commercialiser ce qu'ils produisent", résume l'entrepreneur.
L'année dernière, les agriculteurs de Lovegrass ont récolté deux tonnes de teff et cette année, Alemu s'attend à un chiffre encore supérieur.
Chechebsa - le petit-déjeuner éthiopien traditionnel
Pour mieux comprendre comment le teff est produit, nous avons rencontré Yasinu et Keyria, deux agriculteurs qui récoltent la céréale de manière ancestrale, à l'aide de bœufs. Ils nous ont préparé le chechebsa, un plat traditionnel éthiopien, généralement consommé au petit-déjeuner.
Ingrédients pour 2 personnes
- 250 gr de teff
- un verre d'eau
- une cuillère à café de sel
Préparation
Mélangez les ingrédients pour obtenir une pâte épaisse puis étirez-la sur une plaque de cuisson.
Une fois que la galette de teff est cuite, déchirez-la en morceaux et placez-la dans un bol.
Mélangez ces morceaux avec du beurre.
Ajoutez un peu de berbéré (mélange d'épices éthiopien) et de yaourt... puis dégustez !
Si vous avez envie de découvrir d'autres recettes ou de nouvelles histoires sur les ingrédients traditionnels africains, écoutez les dix premiers épisodes de notre série La Surprise du Chef !
La Surprise du Chef est un podcast financé par le Centre Européen du Journalisme, à travers son programme de journalisme de solutions. Ce fonds est soutenu par la Fondation Bill & Melinda Gates.
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