Algérie
La Cour d'appel d'Alger a alourdi sensiblement dimanche une condamnation contre le patron de presse Ihsane El Kadi, emprisonné depuis décembre, en lui infligeant une peine de sept ans de prison dont cinq ans ferme, soit deux ans de plus qu'en première instance.
"Un verdict choquant et incompréhensible", a écrit sur Twitter le représentant de l'ONG Reporters sans frontières (RSF), Khaled Drareni, en annonçant la décision judiciaire en appel.
L'arrestation de M. El Kadi a suscité une vague de solidarité parmi ses collègues et les militants des droits humains en Algérie et en Europe. Une pétition lancée par RSF pour obtenir sa libération a recueilli plus de 10 000 signatures.
En première instance, M. El Kadi, poursuivi pour "financement étranger de son entreprise", avait écopé le 2 avril de cinq ans de prison dont trois ans ferme. "L’acharnement : le verdict de la honte", a réagi le Comité national pour la libération des détenus (CNLD).
Lors du procès en appel tenu le 4 juin, le procureur général avait requis la confirmation de cette condamnation.
M. El Kadi, 63 ans, dirigeant d'un des derniers groupes de presse privés et indépendants d'Algérie - Interface Médias qui comprend Radio M et le site d'information Maghreb Emergent - est emprisonné depuis le 29 décembre.
"Nous sommes stupéfaits devant une telle décision qui est plus politique que judiciaire", a réagi auprès de l'AFP, Me Zoubida Assoul, qui fait partie des avocats de la défense.
"Ihsane El Kadi a écopé de la peine maximale prévue par la loi. Il n'est pas un repris de justice et devait bénéficier des circonstances atténuantes", a ajouté Mme Assoul, précisant que le patron de presse va "certainement" se pourvoir en cassation.
M. El Kadi est accusé "d'avoir reçu des sommes d'argent et des privilèges de la part de personnes et d'organisations dans le pays et à l'étranger afin de se livrer à des activités susceptibles de porter atteinte à la sûreté de l'Etat et sa stabilité", avait indiqué la Cour d'Alger lors de l'énoncé du verdict de première instance.
Selon l'arrêt de renvoi, les fonds en question sont d'un montant de "25 000 livres sterling (environ 28 000 euros, ndlr) que le journaliste a reçu, par tranches, de sa fille Tin Hinane, établie à Londres et actionnaire d'Interface Médias", a précisé Me Assoul, soulignant que cet argent devait servir à régler des arriérés de dettes du groupe.
"Il n'y a aucun document dans le dossier judiciaire attestant que Ihsane El-Kadi ou Interface médias ont reçu des fonds d'organismes étrangers ou d'une personne étrangère", a-t-elle ajouté.
La justice a également prononcé la dissolution de sa société Interface Médias et la confiscation de tous ses biens saisis ainsi que des amendes à son encontre et visant ses entreprises.
Dans une résolution adoptée le 11 mai, le Parlement européen avait demandé la "libération immédiate et inconditionnelle" du patron de presse et appelé les autorités algériennes à respecter la liberté des médias.
Le Parlement algérien avait réagi à cette prise de position la qualifiant d'"ingérence flagrante dans les affaires d'un pays souverain". Il avait exprimé son "rejet catégorique" du texte "rempli de terribles contre-vérités" voté par les eurodéputés.
Lors d'une cérémonie organisée par la présidence le 3 mai à l'occasion de la journée internationale de la liberté de la presse, le président Abdelmadjid Tebboune a eu des échanges avec des journalistes dont Khaled Drareni, convié à la rencontre.
M. Drareni avait expliqué avoir participé à la cérémonie, en tant que représentant de RSF pour l'Afrique du Nord et "pour remettre (au président Tebboune) une lettre de l'organisation (RSF) contenant une série de demandes, notamment la libération de Ihsane El Kadi et l'abandon des poursuites contre lui et contre Interface médias".
M. Tebboune avait alors assuré les professionnels des médias de sa volonté d'ouvrir "une nouvelle page" avec la presse nationale, à travers notamment l'entrée en vigueur de nouvelles lois.
L'Algérie figure à la 136e place sur 180 pays au classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2023.
En janvier, l'ONG Amnesty International avait dénoncé "l'emprisonnement injustifié de M. El Kadi comme un nouvel exemple de la campagne des autorités algériennes pour réduire au silence toute voix dissidente à travers des détentions arbitraires et la fermeture des médias".
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