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“Tu devrais le cuisiner dans notre restaurant !”, s’exclame avec enthousiasme l’un des enfants de Jeanne Cimpaye.
Ils sont tous confortablement assis à l’une des tables de son restaurant du village burundais de Ruhagarika, situé près de la frontière avec la République démocratique du Congo et c’est la première fois qu’ils goûtent au sorgho.
Il y a seulement quelques décennies, cette céréale ancestrale était considérée comme un aliment de base mais aujourd’hui, elle a été presque entièrement remplacée par le riz et le maïs introduits par les colonisateurs allemands et belges.
Jeanne est réputée dans le village pour son impeke et ikiyama, des boissons traditionnelles du Burundi, mais les plats à base de sorgho sont rarement au menu de son restaurant.
“Cette céréale est chère et beaucoup de gens ici ne sont pas habitués à des plats de sorgho. Donc si je le cuisinais tout le temps, je perdrais de l’argent”, explique-t-elle.
“Petit à petit, je les habitue à consommer ce nouvel ingrédient”.
Le sorgho n’est pas nouveau pour les Burundais mais il a été oublié. Donc les restaurateurs comme Jeanne sont déterminés à le remettre dans les assiettes.
Un symbole de la monarchie
Le royaume du Burundi a été préservé par l’administration coloniale et a perduré jusqu’en 1966. Pendant cette période, le sorgho était un ingrédient de base, l’un des symboles de la famille royale et de richesse. Après la récolte, le sorgho était stocké dans des greniers pour être distribué à la population en cas de famine.
“C'était une céréale symbolique qui donnait de la légitimité au pouvoir burundais”, explique Esperance Habindavyi, chercheuse à l’Institut des Sciences agronomiques du Burundi (ISABU).
“Aujourd’hui, c’est une plante importante au niveau social, surtout dans le milieu rural où la bière de sorgho est brassée pour de nombreuses cérémonies comme les mariages ou les fêtes”.
Les Burundais appellent Ikiyama et Impeke des bières, mais ces boissons à base de sorgho ont très peu à voir avec les bières européennes.
L’impeke est de couleur marron et très intense. Elle est fermentée, acide et amère. Aussi, certains aiment-ils l’adoucir avec du miel.
Pendant les fêtes, les invités se rassemblent autour d’un grand récipient plein d’impeke et plongent leurs pailles dans la boisson épaisse afin de symboliser leur unité.
L’ikiyama est plus légère et plus sucrée.
Selon Esperance Habindavyi, le sorgho revêt une autre importance pour les Burundais : “_C’est l’une des cultures qui peut contribuer à assurer la sécurité alimentaire_”, indique-t-elle.
Le Burundi est un pays enclavé de l’Afrique de l’Est. Avec une population de 12 millions de personnes, il avait en 2021 le PIB par habitant le plus bas.
D’après le Programme alimentaire mondial (PAM), 52% des enfants de moins de cinq ans ont un retard de croissance et beaucoup de personnes vivant en zone rurale souffrent de malnutrition.
“Le sorgho contribue fortement à réduire la malnutrition auprès des enfants et particulièrement chez les femmes car il contient du phosphore et du fer. Ces éléments jouent un rôle crucial dans la lutte contre la malnutrition au Burundi”, soutient la chercheuse.
Redonner au sorgho une place centrale
Comme le maïs, le sorgho est une plante haute avec de petites graines. Elle est résistante à la sécheresse et germe trois jours seulement après sa plantation. Cependant, toutes les variétés n’ont pas la même productivité.
“Nous conseillons nos communautés d’aller vers des variétés à cycle court afin de pouvoir les récolter et les consommer en seulement trois mois”, indique Audace Ndikumana, responsable des programmes chez Inades Formation-Burundi.
Soutenus par l’ONG panafricaine, plus de 300 agriculteurs burundais des provinces de Cibitoke et Kirundo apprennent des méthodes modernes pour la production du sorgho.
Depuis 2018, la production de sorgho auprès des agriculteurs du programme est passée de 300 à 500 kilogrammes par saison et par habitation.
Un autre objectif de la formation est de travailler avec des restaurateurs comme Jeanne. En 2021, la propriétaire a pris part à un séminaire organisé par Inades, sur l’utilisation des ingrédients traditionnels afin de préserver la culture alimentaire burundaise et renforcer la sécurité alimentaire.
“L’Inades nous a appris comment préparer des beignets de haricot, du porridge de haricot et de sorgho blanc et nous a encouragé à préparer ces plats dans nos restaurants”, explique Jeanne.
“Ces séminaires m’ont ouvert les yeux et motivé à continuer de cuisiner le sorgho. Ils m’ont aussi montré l’importance de sa production et transformation. Je suis aussi convaincue que je ne peux pas cesser de faire de l’impeke car cette boisson est importante pour la culture burundaise”.
L’impeke et l’ikiyama
Ingrédients pour la base fermentée :
Farine de sorgho - 1kg
Fleur de maïs - 1kg
Farine de manioc - 500 grammes
Eau
Pour l’ikiyama :
Du miel, du sucre ou n’importe quel édulcorant.
Recette de la base pour les deux boissons :
Faire griller la farine de maïs sur une poêle sèche et chaude jusqu'à ce qu'elle soit dorée.
Mélanger avec la farine de sorgho.
Ajouter 100 mg d’eau bouillante et bien mélanger.
Ajouter la farine de manioc et plus d’eau bouillante.
Bien mélanger.
Ajouter de l’eau jusqu’à ce que la mixture devienne de la bouillie.
Verser une petite quantité de farine de sorgho sur le dessus, bien couvrir et placer le tout dans un endroit chaud pendant 48 heures jusqu’à sa fermentation.
Pour l’impeke
L’impeke est plus concentrée que l’ikiyama.
Prendre la base donnée ci-dessus et ajouter de l’eau bouillante jusqu’à ce qu’elle se prenne une texture d’une boisson très concentrée.
Bien mélanger.
Afin de rendre la boisson alcoolisée, ajouter n’importe quelle bière disponible.
Verser la boisson dans un contenant propre refermable.
Conserver pendant la nuit dans un endroit chaud afin de faciliter la fermentation.
Pour l’ikiyama
L’ikiyama est plus liquide, il faut donc ajouter deux fois plus d’eau que pour l’impeke.
Ajouter aussi du sucre ou un autre édulcorant.
Bon appétit !
Si vous avez envie de découvrir d'autres recettes et histoires autour d'ingrédients africains, écoutez le premier épisode de notre série, dans lequel nous avons parlé à Pierre Thiam de l'aliment précieux de son enfance, le fonio.
Le podcast La surprise du chef a été financé par le Centre européen de journalisme, par le biais du programme Solutions Journalism Accelerator. Ce fonds est soutenu par la Fondation Bill & Melinda Gates.
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