Nigéria
Deux ans après avoir reçu une balle dans la jambe lors d'une manifestation pacifique à Lagos, la capitale économique nigériane, Samuel Ashola attend l'heure de s'exprimer dans les urnes, comme de nombreux autres jeunes en colère.
"J'ai le sang qui bout", résume cet artiste au chômage de 30 ans, alors que la campagne pour la présidentielle de février 2023 débute ce mois-ci. "Je viens du ghetto, du bidonville, du caniveau (...) et je peux vous dire que les Nigérians sont vraiment remontés. La façon dont notre gouvernement gère les choses, avec tout ce qui s'est passé... Je veux tout dégager", dit-il.
De nombreux jeunes Nigérians ayant participé aux plus grandes manifestations de l'histoire moderne du pays ont été traumatisés par les tueries dans l'Etat de Lagos en octobre 2020, lorsque les forces de sécurité ont violemment dispersé la foule qui réclamait une meilleure gouvernance.
Manifestations contre le pouvoir
Les manifestations contre le pouvoir avaient débuté pour dénoncer les brutalités policières, un mouvement baptisé #EndSARS ("en finir avec la SARS"), du nom d'une unité spéciale de la police accusée depuis des années de racket, de torture et même de meurtre.
Ce mouvement avait pris fin quand l'armée et la police avaient ouvert le feu le 20 octobre 2020 au péage de Lekki à Lagos, lieu de rassemblement emblématique des contestataires.
Amnesty International a affirmé qu'au moins dix manifestants pacifiques avaient été tués au péage, ce que le gouvernement fédéral dément. Fin 2021, une commission d'enquête indépendante a conclu que la répression le soir du 20 octobre 2020 à Lagos s'apparentait à un "massacre".
Conscience politique
Pour tous ceux présents ce jour-là, et les nombreux autres à avoir suivi les événements sur internet, ce fut un moment de prise de conscience politique, qui pourrait se répercuter dans les résultats de la présidentielle.
"Nous avons arrêté de lutter parce que nous savions que nous avions une chance de changer les gens au sommet (de l'Etat) en 2023", confie Esther Jonathan, 27 ans. "Nous attendons ce moment".
Depuis 2020, l'économie s'est dégradée, l'insécurité a augmenté et les universités publiques ont été fermées pendant huit mois à cause de grèves, motivant encore davantage les partisans d'un changement dans le pays le plus peuplé d'Afrique.
Pour remplacer le président Muhammadu Buhari, qui ne se représente pas au terme de ses deux mandats constitutionnels, deux candidats rivaux : Atiku Abubakar, du Parti démocratique populaire (PDP), et Bola Ahmed Tinubu, du parti au pouvoir, le Congrès des progressistes (APC).
Mais les outsiders Rabiu Kwankwaso, du New Nigeria People's Party (NNPP) et le populaire Peter Obi, du Parti travailliste, pourraient bénéficier d'un vote protestataire émergent.
"Évolution positive"
Au Nigeria, la participation est généralement faible (33% lors de la présidentielle de 2019) et les jeunes ne sont pas considérés comme les électeurs les plus actifs. Mais "il y a eu une évolution positive depuis 2015" concernant l'intérêt pour la politique, estime Udo Jude Ilo, analyste chez Thoughts and Mace Advisory.
La Commission électorale a indiqué le mois dernier qu'environ 70% des nouveaux inscrits étaient âgés de 18 à 34 ans. "Les élections de 2023 ne vont pas être comme les précédentes", avance Akinwunmi Ibrahim Adebanjo, 26 ans. "Cette fois, on sortira pour que le pays ne soit plus aux mains de voleurs".
Odunayo Eweniyi, membre de la Coalition féministe, un groupe-clé derrière le mouvement de 2020, juge que les manifestations ont inspiré ceux qui ne les ont pas directement soutenues.
"Que vous ayez été pour ou contre, un changement s'est opéré, des voix ont été entendues", estime cette femme de 28 ans. "Et en réalisant que c'est possible d'être entendu, où que vous soyez au Nigeria, les gens misent sur cet élan", ajoute-t-elle.
Apathie politique
Sur sept manifestants que l'AFP a interviewés à Lagos et dans la capitale politique Abuja, cinq ont dit qu'ils voteraient pour Obi. A 61 ans, son âge est l'un de ses attraits, Atiku Abubakar et Bola Ahmed Tinubu ayant respectivement 75 et 70 ans.
"Depuis l'indépendance, on n'a été gouverné que par des vieux" politiciens, assène Anita Izato, 27 ans. "Je pense qu'il est temps de voir si un jeune peut faire mieux". Peter Obi, passé sous les couleurs moins connues du Parti travailliste après avoir été au PDP, a réussi à se présenter comme un candidat anti-establishment.
Mais les observateurs soulignent que ses chances sont limitées, en partie parce que sa formation ne contrôle aucun des 36 Etats du pays ou postes de gouverneurs, des indicateurs perçus comme nécessaires pour engranger des voix.
L'apathie politique et l'achat de voix sont par ailleurs difficiles à combattre dans un pays où 80 millions d'habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Alors si le candidat de l'APC ou du PDP gagne ? "Je manifesterai", dit dans un sourire Esther Jonathan.
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