Afrique du Sud
Dix ans après la fusillade mortelle des mineurs en grève à Marikana, les familles qui ont perdu leurs proches n'ont toujours pas reçu l'indemnisation promise par le gouvernement.
Son frère, qui espérait un meilleur salaire, a été abattu par la police à Marikana, dans le pire massacre en Afrique du Sud depuis la fin de l'apartheid : Dix ans plus tard, Nolufefe Noki attend toujours des explications.
Surnommé "l'homme à la couverture verte", qu'il portait enroulée autour des épaules, Mgcineni "Mambush" Noki, 30 ans à l'époque, était devenu une figure de la contestation de milliers de mineurs. Il encourageait avec passion, le poing levé, ses copains grévistes.
Jusqu'à ce 16 août 2012. "On ne sait pas ce qui s'est passé", confie sa sœur, une femme fluette de 42 ans à la voix éraillée, dans sa maison de Mqanduli, dans l'est du pays. Elle sait juste que la police est venue et que "beaucoup ont été tués".
Trente-quatre, précisément. Et 78 blessés, dans un chaos de poussière et de gaz lacrymogène. Un drame qui a profondément marqué la jeune démocratie sud-africaine.
Depuis, une poignée de policiers a comparu mais aucun n'a été condamné, selon le parquet. La moitié des demandes d'indemnisation déposées ont été réglées, a indiqué mercredi le procureur général Fhedzisani Pandelani, jugeant "regrettable" que ces procédures aient pris tant de retard.
Une enquête officielle a mis en cause les "tactiques policières" déployées ce jour-là, recommandant il y a plusieurs années des poursuites contre les responsables de ce bain de sang perpétré près de la mine de platine, à plus d'une heure de route au nord-ouest de Johannesburg.
Tombe à l'abandon
Pour les survivants et les familles des victimes, la mémoire des événements est intacte.
"Je ne veux plus parler de tout ça. J'ai encore tant de peine", souffle Nolufefe Noki, bottes au pied, dans le petit potager derrière sa maison ronde traditionnelle.
Une grande partie de la main-d'oeuvre des mines vient de régions reculées comme celle-ci. Les femmes restent au pays avec les enfants, les hommes embauchent à plus de mille kilomètres de là.
Mambush envoyait l'équivalent de 150 euros par mois à sa famille. En 2012, il est revenu au pays dans un cercueil. "On m'a dit que je ne pouvais pas voir le corps, qu'il était trop abîmé", dit sa sœur le regard perdu. Sa tombe, au milieu des collines, est recouverte d'herbes folles. Personne n'a le cœur de l'entretenir.
Mzoxolo Magidiwana, mineur gréviste, s'en est sorti avec neuf blessures par balle et une augmentation de salaire consécutive au massacre. Aujourd'hui, il vit dans un foyer de travailleurs près de la colline où la police a tiré.
"Le gouvernement se fout de nous", dit cet homme costaud de 34 ans. "Cela fait dix ans maintenant, nos vies auraient du s'améliorer. Au contraire, tout a empiré".
Deuil impossible
Avant même le massacre, dix personnes avaient trouvé la mort dans des affrontements en marge de la grève.
Le mari d'Aisha Fundi, Hassan, agent de sécurité, a ainsi été tué par des grévistes. Dans le cadre des réparations, on lui a offert un emploi à la mine, ce qu'elle juge très insuffisant.
"Moi et mes enfants voulons de la justice", dit cette femme de 49 ans, mère de deux garçons, qui voudrait au moins savoir qui a tué son mari. Sa hantise est que ses assassins travaillent toujours à la mine. Elle les croise peut-être sans le savoir.
Victimes et familles sont coincés dans leur deuil. "Il n'y a pas eu de justice", dit le sociologue Trevor Ngwane, et la région de "Marikana reste traumatisée".
On reste face à "_une tombe ouvert_e", a estimé cette semaine le commentateur politique Onkgopotse Tabane lors d'un événement organisé par l'AMCU, le principal syndicat minier du pays.
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