Ghana
Mohammed Biney, vendeur de chaussures au Ghana, était déjà en grande difficulté quand le gouvernement a voté la création d'une taxe très contestée sur les transactions électroniques pour tenter de désendetter son économie.
Face à l'inflation frôlant désormais les 30% par mois, et un important endettement, son pays a récemment annoncé solliciter l'aide du Fonds monétaire international (FMI). Une décision qui a provoqué un tollé dans le pays d'Afrique de l'Ouest de 30 millions d'habitants.
Le président Nana Akufo-Addo avait autrefois promis un "Ghana sans aide", qui ne dépendrait plus du soutien de l'étranger et du FMI. Sa volte-face a suscité un vif débat sur la gestion de l'économie par le gouvernement, à l'heure où le coût de la vie dans le pays est le plus élevé depuis deux décennies.
"Vous ne pouvez pas imposer des taxes sous prétexte de sauver l'économie et, du jour au lendemain, venir nous dire que vous allez voir le FMI", lance Mohammed Biney. "Je crois qu'ils sont à court d'idées".
Hausse des prix
Frappé par la pandémie de coronavirus puis par la hausse des prix provoquée par l'invasion russe en Ukraine, le Ghana est en pourparlers avec le FMI pour l'aider à stabiliser son économie, pourtant en croissance (5,8% prévue pour 2022).
Cette décision a fait naître la crainte que le gouvernement impose des mesures d'austérité qui accableraient un peu plus de nombreux Ghanéens, déjà confrontés à l'explosion des prix. Un mouvement de protestation dirigé par l'opposition et les syndicats a appelé à faire grève et à manifester, accentuant davantage la pression sur le gouvernement.
Accablé par une lourde dette, un accès limité à des fonds et peu d'opportunités de revenus, Accra affirme que le FMI représente une aide à court terme.
Dette publique
La ministre-adjointe des Finances, Abena Osei-Asare, a déclaré qu'un accord avec le FMI contribuerait à équilibrer la balance des paiements, tout en préservant les programmes sociaux."Les gens ne connaissent pas le type d'engagement que nous aurons avec le FMI, c'est pourquoi ils ont un peu d'appréhension".
L'économie du Ghana est certes en croissance, mais l'inflation a atteint 29,8% en juin, tirée par la hausse des prix alimentaires et des transports, un record en deux décennies. Surtout elle est très endettée : en deux ans, la dette publique a augmenté de 17 points de PIB, de 62,9% avant la pandémie, elle se situait autour de 80% fin 2021.
"Les vulnérabilités du Ghana en matière de fiscalité et de dette s'aggravent rapidement dans un environnement extérieur de plus en plus difficile", a déclaré le FMI après la visite d'émissaires ce mois-ci. "Un programme soutenu par le FMI vise à offrir une marge de manœuvre au Ghana pour mettre en place des réformes". C'est la 18e fois que le Ghana sollicite l'aide du FMI.
Rigueur budgétaire
En 2015, le pays avait obtenu un prêt d'environ un milliard de dollars en contrepartie d'un plan de rigueur budgétaire. Mais depuis plusieurs années, le gouvernement n'y avait plus eu recours, même pendant la pandémie de coronavirus. En mai, encore, le ministre des Finances Ken Ofori-Atta déclarait qu'un accord avec le FMI n'était pas une option, le gouvernement préférant des solutions "maison".
La taxe sur les transactions électroniques, la "E-Levy", en était une et devait permettre de lever 900 millions de dollars de recettes. Mais cette taxe, très impopulaire, n'a généré que 10% des recettes estimées car la population a réduit les paiements électroniques, selon Gabby Otchere-Darko, membre influent du parti au pouvoir.
"Compte tenu de la situation dans laquelle nous nous trouvons (...) nous n'avons pas d'autre choix", a déclaré John Kwakye, directeur de recherche du groupe de réflexion IEA basé à Accra, à propos de l'accord avec le FMI.
Affrontements
Un accord avec le FMI pourrait fragiliser le parti du président, le Nouveau parti patriotique (NPP), à deux ans de la prochaine élection présidentielle, fait valoir le cabinet de conseil Eurasia Group. "Les élections de 2024 seront très serrées", prévient Eurasia Group.
Pour protester contre la vie chère, les syndicats d'enseignants se sont mis en grève début juillet, jusqu'à ce que le gouvernement accepte de verser des indemnités. D'autres secteurs du secteur public menacent également d'agir.
Et le mois dernier, une manifestation contre la vie chère a donné lieu à des affrontements avec la police."La solution aux problèmes du Ghana ne se trouve pas à Washington", a insisté Yaw Baah, le secrétaire général du Congrès des syndicats (TUC). "C'est une erreur tragique du gouvernement".
L'opposition abonde : "Le président Akufo-Addo et le Dr Mahamudu Bawumia (vice-président) devraient assumer l'entière responsabilité de la gestion incompétente de l'économie", a déclaré Haruna Iddrisu, député de l'opposition. "Le gouvernement doit dire la vérité et nous dire ce que le peuple ghanéen doit attendre au lieu de blâmer l'Ukraine et la Russie".
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