Kenya
Depuis 15 ans qu'il protège, au sein d'une association, l'un des plus grands espaces verts de la capitale kényane Nairobi, Simon Nganga a vu de nombreuses tentatives de grignoter cette forêt luxuriante désormais encerclée par les autoroutes et les immeubles.
Jusqu'ici, les efforts persistants de promoteurs immobiliers et d'individus influents ont été vains face à une législation kényane qui protège rigoureusement les forêts.
Mais un amendement à la loi, présenté jeudi devant l'Assemblée nationale, entend amoindrir profondément cette protection, en autorisant les parlementaires à permettre de possibles grignotages des forêts publiques au profit d'intérêts privés.
Selon ce texte controversé, critiqué par l'ONU - fait rare pour un sujet purement intérieur -, toute personne souhaitant modifier les limites des forêts pour en revendiquer la propriété pourra se tourner directement vers le Parlement, sans passer par le Service kényan des Forêts (KFS), l'agence publique ayant actuellement cette charge.
"Si ça passe (...) cela ouvrira la boîte de Pandore", affirme M. Nganga à l'AFP, à l'ombre dense de la forêt de Ngong Road, dont les 1.224 hectares abritent notamment plus de 100 espèces d'oiseaux.
"Tout le monde veut un morceau de la forêt, ce qui est très dangereux pour nos forêts, pour notre futur" poursuit le vice-président de l'Association de la forêt de Ngong Road.
La modification de la loi sur la protection et la gestion des forêts - adoptée en 2005 après des décennies de déforestation rampante - est notamment combattue par le ministère de l'environnement et le KFS.
- Pris de court -
Les promoteurs de cet amendement affirment que donner au KFS le dernier mot sur ce sujet "limite de manière non nécessaire le droit de toute personne d'adresser une requête au Parlement", prévu par la Constitution.
Les ONG de protection de l'environnement ont été prises de court par la proposition, qui selon eux fera passer le pouvoir des mains d'une agence publique respectée à celles d'une élite politique focalisée sur les élections à venir.
"Pourquoi les parlementaires veulent-ils condamner le Kenya et le monde à un futur atrocement chaud en affaiblissement la loi sur les forêts ?", a déploré l'association Nature Kenya.
Selon M. Nganga, la législation sur les forêts a fait ses preuves: depuis 2005, celle de Ngong Road est restée globalement intacte, fait remarquable pour une zone au coeur d'une des capitales les plus dynamiques d'Afrique.
Elle n'a cependant pas échappé à certaines blessures.
Une imposante route à quatre voies la coupe en deux et elle jouxte, sans clôture, le grand bidonville de Kibera où, lors de sa visite, un journaliste de l'AFP pouvait voir des hommes revenant d'y récolter du bois.
Mais cela aurait été bien pire si une législation solide n'avait tenu à distance les promoteurs immobiliers, poursuit M. Nganga.
"Cela a été un succès (...) Il ne faut pas que nous puissions revenir sur ce succès. Nous savons ce qu'il se passait avant la loi, quand les gens pouvait distribuer la terre".
- "Tout perdre" -
Le Parlement étudie cet amendent à quelques semaines de l'assemblée générale, à Nairobi, de l'UNEP, l'agence de l'ONU dédiée à l'environnement qui y a son siège et où le monde entier devrait s'engager en faveur d'une meilleure protection de la biodiversité.
Dans une lettre au Parlement, un haut responsable de l'ONU à Nairobi s'est inquiété pour la réputation du Kenya et pour ses ambitions d'extension du couvert forestier et de lutte contre le réchauffement climatique.
"Malheureusement, nous pensons que cet amendement nous mène dans la mauvaise direction, ce qui est incompatible avec les engagements et la trajectoire louables du Kenya jusqu'ici", a écrit Stephen Jackson, coordinateur des activités de l'ONU pour le pays, dans une lettre consultée par l'AFP.
Le ministre kényan de l'Environnement, Keriako Tobiko, a déclaré que ses services avait appris l'existence de l'amendement par voie de presse et regrettait que ce dernier ait causé "de la panique et du doute au sein de la communauté internationale".
La question foncière est extrêmement sensible au Kenya, où les conflits liés à la propriété peuvent être violents.
En juillet 2021, Joannah Stutchbury, une militante pro-environnement ayant travaillé sur les forêts, a été tuée par balles à Nairobi.
Le calendrier de cet amendement, à l'approche d'élections générales hautement sensibles en août, suscite aussi des interrogations.
Les périodes électorales sont parfois marquées par des destructions de forêts au Kenya, où des terres sont promises à des communautés ou des alliés politiques en échange de votes, décrypte Paula Kahumbu, directrice de Wildlife Direct.
"Les forêts ont toujours été vulnérables à l'accaparement quand arrivent les élections", poursuit-elle, évoquant un type de "corruption" en nature.
M. Nganga sait ce qui en jeu au Parlement: si l'amendement est voté, "nous perdrons tout".
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