Nigéria
La collecte de l'impôt sur la consommation au Nigeria, au cœur d'une querelle entre Abuja et les Etats du Sud, relance un débat aussi sensible qu'ancien dans le pays le plus peuplé d'Afrique : celui du fédéralisme.
La question du partage des richesses et de la gouvernance est centrale au Nigeria, république fédérale composée de 36 Etats, peuplée de 210 millions d'habitants, de plus de 250 groupes ethniques différents. Les Etats du Sud, plus riches grâce au pétrole notamment, s'insurgent régulièrement contre la gestion des ressources fiscales et pétrolières faite par Abuja.
Ces derniers mois, leur différend s'est cristallisé autour de la collecte de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). En août, à la suite d'une plainte de l'Etat de Rivers, région pétrolifère du sud du Nigeria, un tribunal fédéral a déclaré le gouvernement local compétent pour la collecte de la TVA, et non le gouvernement fédéral.
Collecte de la TVA
Après ce jugement, le gouverneur de l'Etat de Rivers, Nyesom Wike - un des chefs de file du parti d'opposition, le People's Democratic Party (PDP) et critique virulent du gouvernement - a fait adopter une loi autorisant la collecte locale de la TVA. Rapidement, l'Etat de Lagos, moteur économique de la nation, lui a emboîté le pas.
La moitié des recettes du pays issues de la TVA sont collectées par l'administration centrale au sein de la capitale commerciale de 20 millions d'habitants. Pour empêcher l'exécution de ces lois, le gouvernement fédéral a fait appel de ce jugement, et envisage même de régler ce contentieux devant la Cour suprême du pays.
"Le gouvernement fédéral étudie toutes les options à sa disposition, y compris la possibilité de faire appel devant la juridiction de la Cour suprême", a déclaré la semaine dernière le procureur général Abubukar Malali. Selon lui, seule l'Assemblée nationale peut légiférer sur la collecte de la TVA.
Dans le système nigérian, l'administration centrale collecte la TVA et les recettes issues de l'exploitation du pétrole, qui sont ensuite redistribuées entre le gouvernement fédéral et les 36 Etats. Mais les Etats riches comme ceux de Lagos et Rivers, principaux contributeurs, se plaignent de devoir partager les recettes avec les Etats plus pauvres, situés pour la plupart dans le nord, et essentiellement agricoles.
Fédéralisme hérité du colonialisme
La question du fédéralisme refait souvent surface au moment des élections au Nigeria, qui est devenu une entité unique sous le régime colonial britannique en 1914, lorsque le Nord, principalement musulman, a été uni au Sud, principalement chrétien. Mais à l'approche de l'élection présidentielle de 2023, les différents Etats "vont tenter d'obtenir un plus grand contrôle économique en utilisant les ressources extraites sur leur territoire pour faire pression politiquement", affirme Tunde Ajileye, du groupe de réflexion SBM Intelligence.
Le débat sur la fiscalité est particulièrement sensible depuis la pandémie de coronavirus qui a mis à mal les revenus pétroliers du Nigeria, déjà fragilisés par la chute des cours de l'or noir en 2016. Pendant la pandémie, le gouvernement fédéral a porté la TVA à 7,5%, ce qui a permis de dégager des recettes dont le pays avait grand besoin.
Selon le centre d'analyse Eurasia Group, il est toutefois peu probable que la collecte de l'impôt soit décentralisée alors que les Etats manquent d'expertise technique. En outre, les analystes pensent qu'un accord entre Abuja et les Etats du Sud est probable. "Je m'attends à ce qu'il y ait un règlement politique au final", s'accorde Tunde Ajileye.
Velléités séparatistes
Mais la querelle autour de la TVA s'inscrit dans un contexte particulier : en février 2023, les Nigérians éliront un nouveau président qui remplacera Muhammadu Buhari, un musulman du Nord au pouvoir depuis 2015. L'ancien général est accusé par ses détracteurs d'avoir placé aux plus hautes positions des personnalités issues du Nord, et d'avoir favorisé ainsi les appels des Etats du Sud pour plus d'autonomie, voire d'avoir réveillé des velléités séparatistes.
La TVA est ainsi venue s'ajouter à une longue liste de différends qui opposent les dirigeants du Sud et du Nord en vue de l'élection. L'un d'eux concerne le "zonage", un accord officieux de partage du pouvoir qui prévoit une rotation de la présidence entre les candidats du Nord et du Sud.Après les deux mandats de Muhammadu Buhari, de nombreux dirigeants du Sud veulent un président issu de leur région. Ce que de nombreux responsables issus du Nord refusent.
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