Venezuela
Tresse après tresse, Victoria, 28 ans, se libère de "l'esclavage" des cheveux lisses pour embrasser une coupe Afro, souvent décriée et critiquée au Venezuela où le métissage de la population n'empêche pas le racisme de prospérer.
"J'en avais assez des coiffeurs, de ne pas pouvoir me mouiller les cheveux. Je le ressentais comme un esclavage", explique Victoria, alors que le styliste arrange ses cheveux dans un salon du centre de Caracas.
Aujourd’hui, elle se sent "divine" alors qu'il y a quelques années elle avait encore honte de sa chevelure.
Car les cheveux naturels ou crépus ont longtemps eu mauvaise réputation au Venezuela, régulièrement qualifiés de "mauvais cheveux" par une partie de la société.
"Ma mère a commencé à me lisser les cheveux quand j'avais 12 ans. Je me sentais obligée de me montrer comme ça. Les cheveux lisses te donnent un statut", explique Victoria.
La population vénézuélienne est pourtant diverse, résultat de mélanges entre les populations indigènes, les conquistadores espagnols, les esclaves africains victimes de la traite, et enfin l'arrivée massive d'immigrants européens au XXe siècle.
Malgré cette riche diversité, "tout ce qui vient de la +négritude+ est considéré comme mauvais ou exotique... cela ne rentre pas dans la norme", explique la sociologue Zulima Paredes, qui a écrit sur l'esthétique des cheveux afros.
Elle assure que la "discrimination raciale" persiste au Venezuela et affirme que les cheveux lisses font partie d'une "assimilation culturelle".
Stéréotype
"Il y a des personnes qui se défrisent les cheveux depuis qu'elles ont 5 ou 6 ans", souligne la patronne du salon de coiffure, Ludizay Gardona.
Des clientes ont confessé qu'à force d'utiliser des produits chimiques pour défriser leurs cheveux elles avaient "oublié comment ils étaient" naturels. Il y a deux ans Victoria s'est rebellée contre cette assimilation, abandonnant les coiffures lisses pour des cheveux crépus qui atteignent ses épaules.
"Habituez-vous! Ce sont mes cheveux et c'est comme ça que vous me verrez", a-t-elle lancé à ses proches, raconte-elle.
"Il y a un stéréotype de ce que doit être la Vénézuélienne de la beauté vénézuélienne", souligne la sociologue. Selon elle, ce stéréotype est conforté par les concours de beauté et notamment celui de Miss Venezuela.
En 2018, la victoire d'Isabella Rodriguez avait déclenché une tempête sur les réseaux sociaux. La jeune femme, originaire de Petaré, un des grands quartiers défavorisés de Caracas, avait été l'objet de railleries, de commentaires racistes et pauvrophobes, moquant ses traits et notamment ses cheveux lissés pour le concours.
Pays réputé pour la beauté de ses femmes, le Venezuela a remporté sept fois le titre de Miss Univers, mais à chaque fois ce sont des femmes au teint clair et aux cheveux lisses qui représentaient le pays.
Cette discrimination s'étend à tous les domaines, de l'école au monde du travail.
La sociologue Zulima Paredes se souvient qu'elle n'a pas obtenu un travail en raison de sa coupe afro: "j'avais envoyé un CV mais ils m'ont dit +en fait, non... avec cette coupe, ici, ça ne va pas marcher+".
"Quand tu vas à l'école, si tu as les cheveux afros, tu ne peux pas entrer. Il a faut que tu aies les cheveux attachés ou lisses", rappelle Gabriela Delgado, qui s'est rasée les cheveux il y a 4 ans pour les laisser pousser naturellement.
En 2013, le film vénézuélien "Cheveux rebelles" (le titre original est +Pelo Malo+, soit +mauvais cheveux+, ndlr), qui a remporté la Coquille d'or au festival de Saint-Sébastien (Espagne), évoquait déjà le sujet. Ce long-métrage qui raconte l'histoire d'un jeune garçon voulant absolument se lisser les cheveux, touchait du doigt les stéréotypes au Venezuela qui a promulgué une loi contre la discrimination raciale en 2011.
"Pour la société, ça parait totalement normal de dire que ces cheveux sont mauvais", regrette Gabriela Delgado. "Mais ces cheveux n'ont fait de mal à personne. Ils ne peuvent être mauvais."
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