Mexique
C’est “pratiquement une peine de mort” que d‘être candidat à une élection au Mexique. Cette remarque est à prendre très au sérieux dans ce pays, où les homicides ne se comptent presque plus. Explications.
Mario Alberto Chavez est candidat pour Nueva Alianza (une branche dissidente du Parti révolutionnaire institutionnel, PRI, du président Enrique Peña Nieto, voir photo). Âgé de 35 ans et père d’un enfant, ce candidat à la mairie de Zumpango, dans le violent Etat de Guerrero, met tout de suite le doigt sur le problème. C’est “pratiquement une peine de mort” que de se présenter à une élection au Mexique, dit-il. Et l’homme en sait quelque chose.
Le 18 avril dernier, alors qu’il dînait tranquillement dans un restaurant, un homme armé a ouvert le feu dans sa direction. Trois des collaborateurs de Chavez ont été blessés par le tireur, tandis que le candidat Chavez s’en est sorti indemne. “J’ai demandé plein de fois (aux autorités) de me donner des gardes du corps, mais ils continuent de m’ignorer”, dit-il.
En effet, aux dires de Renato Sales, chef de la Commission nationale de sécurité, sur 49 demandes de garde du corps effectuées par des candidats au niveau fédéral, seules 12 ont reçu une suite favorable. Cinq demandes de ce genre ont été rejetées, tandis que 32 d’entre elles restent encore en suspens.
Quand des candidats prennent leur sécurité en main
Que font certains candidats face à une telle situation ? Ils se prennent en charge sur le plan sécuritaire. C’est ce qu’a décidé de faire Nestora Salgado, candidate au Sénat à Guerrero pour Morena, le parti de gauche du candidat favori à la présidentielle, Andrés Manuel Lopez Obrador. Et la candidate semble maîtriser le sujet.
Autrefois à la tête (commandante) d’une section de “police communautaire” (des civils armés qui se substituent à la police dans le but de protéger leurs quartiers), Salgado recrute dans les rangs de ses hommes pour former sa garde rapprochée, sa demande pour gardes du corps ayant été rejetée. Et pourtant, la candidate affirme sur tous les toits avoir reçu des menaces de mort et trouvé devant la porte de sa maison… des chiens décapités.
Pour Nestora Salgado, le coupable n’est pas loin ; “je tiens le gouvernement responsable de ce qui continue de nous arriver” comme candidats, lâche-t-elle.
De son côté, Chavez avait simplement décidé de jeter l‘éponge après la tentative d’assassinat du 18 avril, suivie d’incessants appels téléphoniques ponctués de menaces de mort. L’homme s’est finalement ravisé. “Mais j’ai décidé que ça valait la peine de continuer, pour sortir ma communauté de la pauvreté et de l’insécurité. Nous avons décidé de ne pas faire de meetings, de faire (plutôt) du porte-à-porte” à Zumpango, ville de 25.000 habitants.
Le Mexique est un pays visiblement tourné vers la violence et les chiffres parlent d’eux même. Depuis le début en septembre dernier de la campagne des élections générales (scrutin prévu pour le 1er juillet prochain), ces sont 114 hommes et femmes qui ont été assassinés. Ce chiffre provient du cabinet de consultants Etellekt.
Toujours selon ce cabinet, les candidats ont dû essuyer 417 attaques depuis septembre, dans le contexte des élections qui approchent à grands pas.
Ces élections de juillet sont déterminantes. Elles permettront de trouver un successeur à Peña Nieto et plus de 18.000 dirigeants aux niveaux fédéral, régional et local. Les tensions sont donc à la hauteur des enjeux.
L’entrée en scène des cartels de la drogue, des chiffres alarmants
Il est quasi impensable de parler de violence au Mexique sans faire allusion au trafic de stupéfiants, domaine de prédilection des tristement célèbres cartels de la drogue. A ce propos, plus de 200.000 personnes ont été tuées et 30.000 sont portées disparues depuis 2006, mais aussi depuis le déploiement de l’armée contre les puissants narcotrafiquants. En 2017, le Mexique a clôturé l’année avec le vertigineux chiffre de… 25.339 homicides.
Lorenzo Cordova, président de l’Institut national électoral (INE) : “malheureusement, le Mexique est un pays qui vit une crise de sécurité depuis dix ans et aujourd’hui, nous organisons l‘élection la plus grande de notre Histoire. Est-ce que le contexte de violence dans le pays contamine la politique ? La réponse est oui, et c’est grave.”
Ruben Salazar, directeur d’Etellekt, à propos de l’omniprésence des cartels de la drogue : “les nouveaux qui émergent… cherchent le soutien de nombre de ces candidats. Et ils se débarrassent de ceux avec qui ils n’arrivent pas à nouer d’accord.”
Certains des candidats menacent de jeter en prison leurs prédécesseurs pour corruption. Qu’en pense M. Salazar ? “Cela peut générer des attaques par vengeance.”
Meurtres aux multiples motifs, candidats apeurés
Mais qu’est-ce qui pousse les meurtriers à commettre autant d’homicides ? A cette question, quelques éléments de réponse. Le 2 juin, Pamela Teran, candidate au poste de conseillère municipale à Juchitan (Etat d’Oaxaca), a été abattue. Il lui était reproché d‘être la fille de Juan Teran, soupçonné d‘être un chef de cartel.
Le 18 du même mois, Fernando Puron, l’ex-maire de Coahuila (ville frontalière avec les Etats-Unis) qui guettait un siège de député fédéral, a été tué par balle. L’homme sortait à peine d’un débat dans lequel il mettait en relief les résultats de sa lutte contre le cartel de Los Zetas.
Ces meurtres ne sont pas toujours élucidés. D’ailleurs, bon nombre d’entre eux restent un mystère et finissent dans les tiroirs poussiéreux de la police et de la justice. Cette situation contraint de nombreux candidats, rongés par la peur, à l’abandon. Dans l’Etat de Guerrero, 496 d’entre eux ont déjà jeté l‘éponge, préférant avoir la vie sauve.
Les quelques téméraires qui continuent de battre campagne (comme Mario Alberto Chavez) doivent le faire avec une angoisse permanente.
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