Afrique du Sud
Cadres étrangers, ingénieurs, ils sont des dizaines de milliers à attendre parfois depuis plus d'un an leur visa de travail pour l'Afrique du Sud, une administration au ralenti obligeant certaines entreprises à renoncer à leurs projets dans la première puissance industrielle du continent.
Le gouvernement reconnaît que le pays, rongé par un chômage endémique et une grave crise de l'électricité, connaît une pénurie de travailleurs qualifiés. Et si le problème des délais administratifs à rallonge existe dans d'autres pays, l'Afrique du Sud a cruellement besoin de main d'oeuvre et de compétences pour relancer une économie morose, selon les experts.
"Nous avons plusieurs cas de personnes qui attendent depuis plus d'un an", souligne Pamina Bohrer, à la Chambre de commerce italo-sud-africaine.
"Le retard accumulé est stupéfiant", fulmine Busisiwe Mavuso, directeur de Business Leadership South Africa qui regroupe des dizaines d'entreprises internationales, dont BP, Nestlé et Unilever.
"Le fait que les entreprises ne puissent pas pourvoir les postes signifie qu'elles ne peuvent pas investir et se développer", poursuit-il dans une note publiée le mois dernier.
Certaines en viennent à suspendre ou même abandonner leurs projets dans le pays.
Le ministre de l'Intérieur, Aaron Motsoaledi, a expliqué en septembre devant une commission parlementaire qu'en raison d'un manque criant de personnel administratif, 74.000 demandes de visas sont en attente de traitement.
Sans surprise, le phénomène s'est aggravé depuis la pandémie de coronavirus: en 2021, seuls 3.047 visas délivrés sur la base de compétences recherchées, telles que la maîtrise d'une langue étrangère, ont été délivrés, soit une baisse de 45% par rapport à 2019, selon les chiffres officiels.
Environ deux tiers des demandes ont été rejetées. Radio des poumons, casiers judiciaires de tous les pays où l'on a résidé ou encore relevés de compte bancaire sur plusieurs mois, la liste des pièces à fournir est longue comme le bras.
Incohérences
Les entreprises internationales se plaignent aussi de l'incohérence du processus. Certaines demandes sont traitées en quelques semaines, d'autres traînent des mois. Dans certains cas, les demandeurs obtiennent un permis mais pas leur conjoint ni leurs enfants.
Des dossiers sont refusés pour des raisons jugées futiles, comme l'absence d'un numéro de téléphone sur un document. L'obtention d'un visa de travail peut prendre 48 semaines ou plus. Quatre fois plus qu'au Nigeria ou au Kenya.
Dans une enquête de la chambre de commerce de l'Union européenne en Afrique du Sud l'an dernier, un entrepreneur anonyme affirme que le bourbier des visas l'a poussé à choisir plutôt le Ghana pour installer ses bureaux sur le continent.
"Mon entreprise aimerait poursuivre son expansion en Afrique du Sud (...) mais l'incertitude concernant les visas a mis un frein à cette expansion", a-t-il écrit.
Selon un rapport gouvernemental l'an dernier, chaque arrivée d'un nouvel employé qualifié génère des emplois dans le pays. Une augmentation de 1% de cette immigration pourrait accroître le PIB de 1,2%, alors que les prévisions de croissance de la banque centrale du pays ne sont qu'à 0,8% cette année.
Le rapport recommande des réformes comprenant des visas spécifiques pour les travailleurs à distance et les start-ups et un système d'employeur de confiance pour faciliter l'embauche.
Les changements adoptés doivent être bientôt rendus publics. Mais à l'approche des élections de 2024, il pourrait y avoir des hésitations, selon les observateurs: de nombreux Sud-Africains accusent les immigrés, en particulier des pays de la région, d'être responsables du chômage et d'une criminalité en constante hausse.
Selon Jakkie Cilliers, de l'Institute for Security Studies (ISS) à Pretoria, l'approche sécuritaire du gouvernement en matière d'immigration sape les efforts pour attirer les investissements.
"Nous avons un ministère de l'Intérieur et un ministère du Travail qui s'efforcent activement d'empêcher les étrangers de venir en Afrique du Sud", estime-t-il.
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