France
Grâce, Betty, Arthur puis Hermine : pour la première fois, quatre enfants du défunt président gabonais Omar Bongo Ondimba ont été mis en examen par la justice française dans le dossier vieux de 15 ans des "biens mal acquis" gabonais dans l'Hexagone.
Entre le 25 mars et le 5 avril, le juge financier Dominique Blanc a successivement mis en examen Grâce (58 ans), Betty (55), Arthur (51) puis Hermine Bongo (53), pour recel de détournement de fonds publics, de corruption active et passive et d'abus de biens sociaux, selon des éléments obtenus par l'AFP.
Après la mise en examen de la banque française BNP Paribas en mai 2021, c'est une nouvelle accélération dans cette enquête difficile et au long cours, déclenchée après une plainte en mars 2007. D'autres enfants, parmi les 54 de l'ex-allié historique de la France, pourraient suivre.
La justice française soupçonne en effet plusieurs membres de la famille Bongo, d'Omar, le défunt père, à Ali, le fils et actuel président, en passant par la fille Pascaline, d'avoir "sciemment" bénéficié d'un important patrimoine immobilier "frauduleusement" acquis par le patriarche et dont la valeur a récemment été évaluée par la justice "à au moins 85 millions d'euros".
Affaires judiciaires
Contacté par l'AFP, Jessye Ella Ekogha, porte-parole de la présidence gabonaise, n'a pas fait de commentaire. Devant le juge, les quatre enfants de celui qui fut président du Gabon de 1967 à sa mort en 2009 ont tous évoqué des biens reçus comme "cadeaux" de leur père, des appartements dans les XVe et XVIe arrondissements parisiens acquis entre 1995 et 2004.
Connaissaient-ils le circuit tortueux emprunté par l'argent pour financer ces acquisitions, décrit par un notaire français mis en cause comme servant à "camoufler" l'origine des fonds ? "Non", ont-ils tous répondu. "Je n'étais au courant de rien", répond ainsi Betty Bongo, ex-directrice générale adjointe de feu la compagnie aérienne Air Service Gabon.
Aux quatre enfants, le juge Dominique Blanc égrène la même litanie d'affaires judiciaires, de rapports officiels et d'enquêtes journalistiques ayant étayé les soupçons de corruption qui aurait enrichi Omar Bongo.
Ignorance
La "fortune immense" de sa famille, selon un arrêt de février de la cour d'appel de Paris, provient "de l'argent issu de détournements de fonds publics et des sommes considérables provenant du délit de corruption des sociétés pétrolières", notamment Elf Aquitaine, ce que "les investigations menées dans la présente procédure ont confirmé", selon le magistrat.
Les enfants Bongo opposent au juge leur ignorance ou absence de curiosité. "J'apprends beaucoup de choses aujourd'hui", répond laconiquement Grâce Bongo, tandis qu'Hermine Bongo, directrice générale de la compagnie aérienne Nouvelle Air Affaires Gabon, fait valoir son "éducation" : "Sois heureuse de ce que tu as et ne sois pas curieuse de ce qui ne te concerne pas".
Pour eux, quoi qu'il en soit, pas de fraude : Arthur Bongo, un temps pilote de l'avion présidentiel paternel, indique qu'il n'a "pas le sentiment d'avoir bénéficié d'une rente pétrolière". Grâce Bongo précise : "Si (Omar Bongo) a volé dans la caisse, je n'ai pas de preuves".
Me Elise Arfi, l'avocate de cette dernière, a dénoncé une mise en examen "scandaleuse" qui crée "de l'insécurité juridique". Elle précise : "Vingt-cinq ans après une vente légale et régulière, on vient chercher la propriétaire en disant que les faits qui ont servi à financer cet appartement n'auraient pas une origine licite". Les avocats des autres enfants n'ont pas répondu à l'AFP.
Preuve de préjudice
Dans ce dossier des biens mal acquis, outre les enfants Bongo et la BNP Paribas, sont poursuivies 14 autres personnes physiques, dont des membres de la famille du président congolais Denis Sassou Nguesso et plusieurs Français parmi lesquels un avocat, un notaire, une gérante de société civile immobilière, etc.
"Le chapitre famille Bongo qui s'est ouvert va se poursuivre. La procédure enseigne maintenant à quel point les biens français n'ont pu être mal acquis que grâce au concours des ingénieurs du chiffre et du droit", a relevé Me William Bourdon, avocat de l'association Transparency International France, partie civile dans ce dossier.
Début février, le magistrat instructeur a retiré à l'État gabonais son statut de partie civile, estimant qu'il n'avait pas apporté depuis le début de l'enquête la preuve d'un préjudice. Les avocats de ce pays, qui a indiqué dans un courrier du 1er février que le Gabon "ne conteste pas (...) l'existence des délits objets de cette procédure", ont fait appel de cette décision.
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