Côte d'Ivoire
Le retour de l'ex-président Laurent Gbagbo le 17 juin en Côte d'Ivoire aura des répercussions sur la vie politique de son pays où, malgré une décennie d'absence, il reste un des acteurs majeurs depuis plus de 30 ans.
Peu imaginent qu'à 76 ans il prenne sa retraite. Beaucoup pensent au contraire qu'il va retrouver toute sa place de leader face aux deux autres poids lourds historiques de la politique ivoirienne, le chef de l'Etat Alassane Ouattara, 79 ans, et l'ex-président Henri Konan Bédié, 86 ans, avec qui il a noué une alliance.
Le 31 mars, Laurent Gbagbo est acquitté de crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, où il était détenu depuis 2011. Il était poursuivi pour les violences post-électorales liées à son refus de reconnaître sa défaite face à Alassane Ouattara à la présidentielle de 2010, qui ont fait quelque 3 000 morts.
Le 7 avril, le président Ouattara tirait les conséquences de cet acquittement, autorisant son rival à rentrer dans son pays quand il le souhaitait, lui promettant tous les égards liés à son statut d'ancien chef de l'Etat.
Esprit de revanche
Laurent Gbagbo, qui a gardé la haute main sur le parti qu'il a créé, le Front populaire ivoirien (FPI), entend participer, d'une façon qui reste encore floue, à la politique de "réconciliation nationale" d'Alassane Ouattara et n'est animé par aucun esprit de revanche après l'humiliation de 2011, selon ses proches.
Les images de son visage marqué et de son regard perdu lors de son arrestation dans sa résidence dévastée d'Abidjan, puis ensuite à l'Hôtel du Golf, quartier-général des forces pro-Ouattara où il avait été transféré, restent gravées dans les mémoires des Ivoiriens.
"Les blessures ouvertes (...) ne sont pas refermées et il y a une peur des autorités de voir Gbagbo ré-agiter la rue, ce qui est une de ses marques de fabrique", note Rinaldo Depagne, chercheur à l'International Crisis Group (ICG). Qu'il participe activement à une "vraie réconciliation serait une bonne chose, car il a un poids considérable dans l'histoire politique de ce pays", dit-il. Selon lui, ce serait aussi son "intérêt", pour "bien terminer une carrière qui a eu des hauts et des bas".
Trio de la vie politique ivoirienne
Avec son retour va se reformer "le trio" qui écrase la vie politique ivoirienne depuis 30 ans : Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, le doyen, qui avait succédé au président et "père de la nation" Félix Houphouët-Boigny à sa mort en 1993. Tous trois ont été alliés ou rivaux en fonction des circonstances.
Après avoir été allié à Alassane Ouattara contre Laurent Gbagbo en 2010, Henri Konan Bédié est aujourd'hui le chef indéboulonnable de l'ancien parti unique devenu principale formation d'opposition, le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), allié au parti de M. Gbagbo aux dernières élections législatives, en mars.
Laurent Gbagbo n'a jamais admis sa défaite contre Alassane Ouattara en 2010, mais les contacts entre les camps des deux hommes se sont intensifiés ces derniers mois pour négocier son retour dans "l'apaisement". Avec Henri Konan Bédié, c'est pour l'instant l'entente cordiale : outre l'alliance aux législatives, le PDCI participe avec le FPI à l'organisation de l'accueil de Laurent Gbagbo.
Reste que la domination de ces trois hommes âgés sur la vie politique "témoigne d'un fonctionnement interne des partis absolument antidémocratique", selon Rinaldo Depagne. "Comme à la tête de l'Etat, un homme accapare l'essentiel des pouvoirs" pour qu'"aucun dauphin ne puisse apparaître".
Popularité de Gbagbo
Le porte-parole de Laurent Gbagbo, Justin Katinan Koné, "rêve" qu'ils "se parlent et purifient l'héritage", car "si on nous laisse un héritage plein de ressentiment, on va continuer à se battre". Malgré dix ans d'absence, Laurent Gbagbo reste populaire au-delà de sa région d'origine de Gagnoa (Centre-Ouest).
Principal opposant à Félix Houphouët-Boigny puis à Henri Konan Bédié dans les années 1980 et 1990, il s'est battu pour imposer le multipartisme, à la tête de manifestations violemment réprimées par le régime, ce qui lui a valu la prison et l'exil.
Dans un pays dominé par de grandes familles bourgeoises, Laurent Gbagbo, issu d'un milieu modeste, socialiste, "a relayé la parole des pauvres et des frustrés du développement et ça, ça ne s'oublie pas", estime Rinaldo Depagne, ajoutant qu'il est "un tribun hors norme" et "a le verbe, dans un pays où on adore parler et où on adore l'humour".
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