Burundi
“Si l'on regarde les chiffres des féminicides en France, ce sont plus de 150 femmes qui ont été tuées en 2020. C'est vraiment absolument insupportable. Et très clairement, quand on regarde ce qui s'est produit au niveau des processus justice et police, on a failli.”
Docteur Gilles Lazimi est médecin généraliste en France, à Romainville en Seine-Saint-Denis, et militant féministe au sein du collectif des féministes contre le viol ainsi qu'à l’association "SOS Femmes 93" . Il estime que la lutte contre les violences faites aux femmes est loin d’être suffisante. D'après lui, Il faudrait augmenter les budgets des associations, de la police et de la justice afin que ces derniers puissent mener à bien leurs missions. Il s'git là d'une obligation.
Après avoir écouté notre reportage en deux parties sur les Abatangamuco, Dr Lazimi et Christine Ntahe, plus connue sous le nom de Maman Dimanche, mettent en perspective les enjeux et les conséquences de la masculinité toxique sur les familles au Burundi et en France. Mme Ntahe est principalement chargée de résoudre les conflits familiaux au sein des foyers de la communauté de Bujumbura, l'ancienne capitale du pays.
Nos invités nous expliquent comment mener un combat digne et réussi pour l'égalité des genres dans cet épisode de "Dans la tête des Hommes", une série podcast originale d’Euronews en collaboration avec Africanews et qui vise à promouvoir une discussion transfrontière sur les rôles de genre, du point de vue de cinq pays africains (Burundi, Sénégal, Lesotho, Guinée et Libéria) et un débat mondial sur une masculinité épanouie et respectueuse de tous.
Les journalistes à l’origine du projet travaillent avec un réseau de correspondants locaux dans les pays couverts par le projet, ainsi que des journalistes d’Africanews.
N’hésitez pas à encourager ce projet en l'écoutant et en vous abonnant au podcast sur euronews.com ou sur les plateformes Castbox, Spotify, Apple, Google, Deezer ainsi qu'à partager votre avis et point de vue.
Suivez-nous et partagez avec nous vos témoignages sur la façon dont vous avez changé et remis en question votre vision de ce que signifie être un homme avec le hashtag #DansLaTeteDesHommes.
EPISODE 4
Les Abatangamuco au Burundi : les solutions
Arwa Barkallah : Bienvenue dans cet épisode du podcast "Dans la tête des hommes", aujourd'hui, nous poursuivons notre entretien avec le docteur Gilles Lazimi, médecin généraliste et activiste dans le Collectif des femmes contre le viol et SOS Femmes 93 en France, en Seine-Saint-Denis. Notre deuxième invitée est Christine Ntahe, notaire chargée de règlement de conflits au sein des foyers de Bujumbura, l'ancienne capitale du Burundi.
Christine Ntahe, est ce que la parole se libère sur les masculinité toxiques au Burundi ?
Christine Ntahe : _Heureusement que c'est en train de changer. C'est la raison pour laquelle nous sommes ici pour parler quand on voit les Abatangamuco qui font des témoignages dans le théâtre, qui organisent des déjeuners d'échanges pour faire connaître à d'autres comment ils ont changé. C'est en train de changer et avec cette génération, la génération actuelle et je pense que ça changera complètement. _
Arwa Barkallah : Le président français, Emmanuel Macron, a décrété l'année 2020 comme celle des lutte contre les violences faites aux femmes. Est ce que le gouvernement français en a fait assez ? Docteur Lazimi.
Gilles Lazimi : Effectivement, depuis 20 ans, il y a énormément de progrès, d'actions et de financements qui ont été mis en place. On ne peut pas dire le contraire et c'est tant mieux. Il y a eu des lois, il existe des dispositifs qui sont très, très intéressants pour aider les femmes, mais cela reste insuffisant. Il faut continuer à dire qu'on est en progrès, mais ça ne suffit pas, car si on regarde les chiffres des féminicides en France, ces sont plus de 150 femmes qui ont été tuées l'année passée. Donc c'est vraiment absolument insupportable. Et très clairement, quand on regarde ce qui s'est produit au niveau des processus justice et police, on a failli.
Donc manifestement, ça ne suffit pas. Il y a un certain nombre de places d'hébergement, mais ça ne suffit pas. Il y a des progrès, mais il faut qu'il y en ait encore. Et on attend très clairement que systématiquement, à chaque fois qu'une femme va porter plainte dans un commissariat, elle soit immédiatement protégée, hébergée et que des ordonnances de protection soient mises en place. Il existe des mesures concernant les bracelets électroniques.
Il y a des mesures avec les téléphones pour les ordonnances de protection. C'est un énorme progrès, mais on est au début et il faut encore que ça se développe. Il faut que des moyens soient mis très clairement en place pour qu'il n'y ait plus jamais une seule femme qui soit tuée par son conjoint ou ex-conjoint dans le cadre des violences faites aux femmes. On est en progrès, certes, et tous les gouvernements successifs ont amélioré les choses. Mais je le dis et je le répète au niveau associatif, c'est clair, ça ne suffit pas. Il faut qu'il y ait des mesures qui soient plus importantes. Il faut qu'il y ait des budgets qui permettent aux associations d'héberger ces femmes ainsi que leurs enfants, des budgets qui permettent à la justice de travailler, à la police de les accueillir. Donc en progrès, mais peut mieux faire et doit mieux faire.
Arwa Barkallah : Christine Ntahe, que fait le gouvernement ou l'Etat au Burundi pour lutter contre les violences faites aux femmes ?
Christine Ntahe : Je crois que maintenant la parole se libère sur les violences faites aux femmes, mais très timidement. Dans la mesure où même les associations qui luttent contre les violences basées sur le genre n'ont pas assez de moyens pour le faire. Et on voit bien que même au ministère de la Justice et au sein de la police, il y a des points focaux. Il y a des points focaux, mais qui n'ont pas bénéficié d'informations. Alors ça pourrait disparaître si ces réseaux pouvaient s'étendre à travers tout le pays.
Parce que à ce que je sache, ce réseau se trouve uniquement dans les provinces 8 ou 9. Si ce réseau était arrivé à sensibiliser à travers tout le pays, avec des décors de théâtre et des sketches, des affiches dans toutes les communes, dans tous les lieux publics, etc. Je crois que ça aurait pu marcher, mais cela laisse encore à désirer.
Arwa Barkallah : Christine Ntahe, vous êtes donc notable en charge des règlements de conflits domestiques au sein des foyers à Bujumbura. Je voudrais juste vous demander si, un jour devant vous, un homme a pris conscience des violences qu'il faisait subir à sa compagne. Est-ce que vous pouvez nous raconter cette anecdote ?
Christine Ntahe : Moi, j'ai vu ça au quotidien. Donc, je suis toujours avec les hommes qui m'ont dit OK moi, j'ai été à côté de la plaque, j'ai battu ma femme, j'ai martyrisé ma femme, mais maintenant je suis sur le bon chemin.
C'était un ivrogne, vraiment. Lui, il allait dans les cabarets et les soirs il ne retrouvait même pas le chemin qui le conduisait chez lui. Il dormait dans les caniveaux et sa femme, qui venait le chercher pour le ramener, était frappée et souvent obligée de passer la nuit hors de chez elle car mise dehors avec ses enfants par son mari.
Mais après, il est venu me dire : "Vraiment. Maintenant je regrette tout ce que j'ai fait dans mon foyer. Mon couple aurait pu aller de l'avant. Et maintenant j'ai envie de revenir à ma femme et puis il y a mes enfants". Je leur ai demandé s'ils aimaient leur papa. Mon garçon de 8 ans m'a dit : "Non, avant j'aimais pas mon papa, parce que mon papa quand il arrivait, on sortait pour passer la nuit dehors, nous et maman". Il la tapait. Et maintenant ? "Maintenant j'aime mon papa. J'aime mon papa parce que maintenant quand il vient, il me dit bonjour, il m'apporte des beignets. Il nous dit vous êtes mes enfants. Maintenant papa accompagne maman aux champs donc c'est la joie, c'est le bonheur chez nous".
J'ai beaucoup, beaucoup d' histoires comme ça aussi à la Croix Rouge de Burundi qui est présente un peu partout dans le pays. Il y a beaucoup d'hommes qui qui viennent témoigner en ce sens qu'ils ont retrouvé le droit chemin et se sont réconciliés avec leurs femmes alors qu'ils étaient vraiment très, très méchants envers elles et leurs enfants.
Arwa Barkallah : Docteur Lazimi, est-ce que vous vous rappelez d'une fois où un homme a pris conscience des violences qu'il faisait subir à sa compagne ?
Gilles Lazimi : Je n'ai pas beaucoup de situations de ce type parce que quand je suis des victimes, je ne suis pas les agresseurs. C'est la première chose. Deux, de l'expérience que j'ai, les hommes violents reconnaissent rarement leur culpabilité ou s'ils la reconnaissent, c'est pour renouer le lien et ensuite se remettre dans un cycle des violences.
Vous savez, les fameux "Je reconnais. J'ai eu tort, mais tu sais, je t'aime, tu sais, je ne savais pas ce que je faisais. Ce n'était pas de ma faute, c'était la boisson". Il y a plein d'arguments comme ça qui font que ces hommes, à un moment donné, vont tenter de retrouver leurs objets, leur souffrance. Et donc, c'est vraiment des cycles de violences. Concernant les hommes violents en France, le meilleur moyen de leur faire prendre conscience des choses, c'est la loi, le rappel à la loi et éventuellement les peines de prison.
Il y a des stages de responsabilisation pour les hommes auteurs de violences conjugales mais ils ne sont pas très, très, très efficaces car ces hommes là ont beaucoup de mal à reconnaître leurs actes. C'est toujours de la faute de la victime. C'est toujours de la faute de la femme, donc ils mettent beaucoup de temps avant d'admettre. Le bon moyen pour leur faire reconnaître qu'un ils ont fait des violences et que deux, il ne faut pas qu'ils recommencent c'est encore une fois les peines de prison ou des mesures d'éloignement.
En France, la médiation pénale entre un homme violent et une femme violentée est interdite. On ne peut pas mettre une femme victime de violences face à son agresseur homme agresseur parce qu'on les met en situation d'être coresponsable des violences qu'il affligent et qu'ils subissent. Donc c'est quelque chose qui est interdit pénalement en France. C'est pour ça que les femmes victimes de violences sont accompagnées et leurs agresseurs éloignés. Mais faire les deux n'est pas possible réellement. C'est très, très préjudiciable.
Maintenant, je peux entendre que dans des pays où la loi ne s'applique pas, où l'État n'est pas défaillant, ça pose problème. C'est vrai que la lutte contre les violences faites aux femmes, c'est l'affaire de tous et de toutes, très clairement. Mais c'est avant tout quand même l'affaire de l'Etat qui doit protéger les plus faibles, qui doit protéger les victimes. Et manifestement, si on ne les protège pas, si on ne met pas les moyens, on laisse perdurer des situations et des situations où les femmes vont encore pendant longtemps être victimes de violences. Il faut rappeler que dans la stratégie de l'agresseur il y a ces injonctions paradoxales, il y a ces propos "C'est de ma faute. Je m'excuse, je t'aimais trop. Je ne pouvais pas supporter que tu t'habilles comme ça. Je ne pouvais pas supporter ce que tu ressens. J'ai beaucoup bu".
C'est toujours plein d'excuses qui font qu'à un moment donné, les femmes pensent qu'effectivement, il est tellement gentil. Un bouquet de fleurs, il fait amende honorable et c'est jusqu'à la prochaine fois. Et c'est juste qu'il y a encore une fois un épisode de violence qui peut redémarrer le cycle des violences. On le connaît bien avec cette fameuse lune de miel et ces fameux propos qui font que la femme se dit "Bon, allez, je vais y croire, je vais te changer. Ça va, ça va. La situation ne va plus perdurer". Ce n'est pas toujours vrai. Il faut vraiment que la loi soit appliquée. Il faut vraiment que les lois soient appliquées, que la société change et que l'éducation soit primordiale pour changer ces violences et les rôles dévolus aux garçons et aux filles, et qu'une égalité soit clairement affichée et mise en place.
C'est vraiment quelque chose que moi, personnellement, je n'ai pas rencontré ; ces hommes qui font amende honorable. Et quand ils le font vraiment, malheureusement, c'est souvent pour continuer à pouvoir accentuer le pouvoir qu'ils exercent déjà sur leur femme.
Arwa Barkallah : Christine Ntahe, êtes-vous pessimiste ou optimiste vis-à-vis de l'évolution des choses, notamment une amélioration de la situation et une diminution des violences faites aux femmes ; une libération de la parole vis-à-vis de la masculinité toxique, par exemple ?
Christine Ntahe : Les Abatangamuco ont lancé l'exemple. Et dans ce sens nous aussi, les associations qui œuvrons pour la lutte contre les violences faites aux femmes et pour l'égalité des genres sommes là aussi. Je suis optimiste parce qu'il y a un changement de comportements qui s'observe un peu partout. Je suis donc optimiste que les générations actuelles et futures, qui sait, tireront profit de ces exemples qui sont un peu partout. Mais je reste quand même un peu inquiète par rapport au travail qui pourrait être fait à l'échelle nationale notamment en raison du manque de moyens et donc le jeu du silence reste une bataille à mener, mais une bataille menée avec des moyens. Aidez-nous. D'ailleurs vous avez commencé. Que ceux qui s'en sentent capables puissent aider notre communauté, nos communautés, notre pays, pour que vraiment les violences faites aux femmes et l'égalité de genre puissent être défendus.
Sinon, moi, je pense qu'il y aura même des pays où il n'y aura même pas de développement durable face à toutes ces violences faites aux femmes. Mais moi, je suis vraiment optimiste. Merci.
Arwa Barkallah : Merci beaucoup, Mme Christine Ntahe. Je rappelle que vous êtes notable en charge des règlements de conflits domestiques au sein des foyers de votre communauté à Bujumbura, l'ancienne capitale du Burundi. Et merci à vous, docteur Gilles Lazimi. Vous êtes médecin généraliste, en France, à Romainville, en Seine-Saint-Denis, militant féministe au Collectif féministe contre le viol est l'association SOS Femmes 93. Merci à vous deux d'avoir échangé avec nous.
Christine Ntahe : Merci de nous avoir appelé.
Gilles Lazimi : Merci beaucoup.
Arwa Barkallah a préparé cette émission avec Marta Rodriguez, Lillo Montalto-Monella, Naira Davlashyan.
Lory Martinez et les studios Ochenta ont participé à la production de ce podcast.
L'équipe de "Dans la tête des Hommes" remercie le Centre Hubertine-Auclert, le Centre francilien pour l'égalité femmes-hommes, qui l'a mise en contact avec le docteur Lazimi. Vous pouvez visiter leur site Internet. Production et design du studio Ochenta.
L'intro, le thème et le générique sont de Gabriel Dalmasso.
Merci à Natalia Olsner pour la sélection musicale de cet épisode.
"Dans la tête des hommes'' est une série de podcasts originale d'Euronews. Pour nous suivre, rendez-vous sur notre site. Pour plus de vidéos, d' éditos et d'articles sur le sujet, suivez-nous sur Twitter, et sur Instagram. Vous pouvez nous envoyer vos anecdotes, votre point de vue sur ce qu'est, selon vous être un homme en utilisant le hashtag #danslatêtedeshommes. Rendez-vous dans quinze jours pour parler d'homosexualité et de virilité au Sénégal.
01:08
Attaque à Ankara : des pays africains expriment leur soutien à la Turquie
01:00
L'akazehe, le chant traditionnel de salutation du Burundi qui refuse de s'éteindre
11:43
L'actualité panafricaine du 7 octobre 2024 [Africanews Today]
01:14
L'épidémie de Mpox a déjà fait 866 morts en Afrique
01:00
Arrêt sur images du 25 septembre 2024
01:50
USA : dans les fermes, une nouvelle vie pour les réfugiés africains