Kenya
"Il n'y a pas que le pétrole et le gaz" : les pêcheurs de l'archipel de Lamu, sur la côte kényane, s'inquiètent du différend frontalier entre le Kenya et la Somalie, qui pourrait amputer grandement leur zone de pêche et leurs revenus.
Alors que les audiences sur le tracé de la frontière somalo-kényane dans l'océan Indien s'ouvraient lundi devant la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye, les pêcheurs de la côte orientale du Kenya se sont mobilisés à l'appel de leurs organisations et de l'associationSave Lamu_. _"Save Lamu Waters" ("Sauvons les eaux de Lamu"), ont-ils clamé sur des pancartes, tee-shirts, masques anti-Covid... Le slogan flottait aussi sur des drapeaux noirs claquant aux mâts de leurs dhows (boutres locaux).
Les pêcheurs de la région se rendent régulièrement dans les eaux poissonneuses situées au large de Kiunga, localité située à l'extrémité nord du comté de Lamu qui marque la frontière terrestre avec la Somalie. Ces eaux, actuellement sous contrôle kényan, font partie d'un vaste triangle maritime de plus de 100 000 km2, convoité par les deux pays notamment pour son riche potentiel en hydrocarbures. "Les gouvernements se concentrent sur les gros intérêts de pétrole et de gaz qui pourraient leur ramener de l'argent. Il n'y a pas que le pétrole et le gaz. Nous les appelons, et la Cour internationale, à prendre aussi en compte les pêcheurs et leur gagne-pain", explique Adam Lali Kombo, pêcheur sur l'île voisine de Kiwayu.
Frontière maritime
Le Kenya considère que la frontière maritime est une ligne droite horizontale partant de Kiunga. Cette délimitation a été proclamée en 1979 quand le pays a fixé les limites de sa zone économique exclusive (ZEE). La Somalie, à l'initiative de la procédure devant la CIJ, estime, elle, que cette frontière devrait s'étirer en direction du sud-est, dans le prolongement du tracé de la frontière terrestre entre les deux pays, selon une ligne médiane conforme au principe international de l'équidistance.
Après plusieurs reports, le Kenya a annoncé qu'il ne participerait pas aux audiences devant la CIJ. "Il est encore temps pour les deux pays d'explorer d'autres solutions évidentes comme l'Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad, qui regroupe sept pays d'Afrique de l'Est, ndlr), l'Union africaine ou nos anciens", a déclaré Is'haq Abubakar, vice-président de Save Lamu, dans un discours devant plusieurs dizaines de pêcheurs mobilisés lundi. "La population de Lamu et nos frères Somaliens cohabitent depuis des siècles et continuent de considérer ces frontières comme des tracés coloniaux qui ne sont dans l'intérêt ni du peuple kényan ni du peuple somalien", a-t-il ajouté. "Ce qui nous intéresse, ce n'est pas de voir un gouvernement l'emporter sur un autre, mais d'avoir le droit de gagner notre vie, de garder nos zones de pêche", complète Adam Lali Kombo, 42 ans.
Gagne-pain
Durant la saison des pluies, les pêcheurs de la région restent près des côtes. Durant la saison sèche, ils vont en haute mer, en quête de thons, de requins, d'espadons... Ils sont même rejoints par des pêcheurs venus de Malindi et Kilifi, villes situées à plus de 150 kilomètres au sud. "Ca rapporte plus et on met de l'argent de côté avec ça", explique Adam Lali Kombo. "Si on perd ce territoire de haute mer, on perd 50% de nos zones de pêche, on perd notre gagne-pain".
L'inquiétude déborde sur le quai et dans les ruelles centenaires de la vieille ville de Lamu, où les glacières et les étals regorgent des poissons venus des eaux de Kiunga. Son maillot de Manchester United constellé des écailles des thons et des barracudas qu'il découpe, Aboubacar Afouman arbore toujours un grand sourire, mais il craint pour ses revenus. "Le poisson de Kiunga, on l'a toujours à de bons prix, parce qu'il y a beaucoup de poissons de ce côté-là. On peut le vendre et se faire de l'argent, et donc on est plus indépendants", explique ce vendeur de 34 ans. "Environ 90% des gens du comté de Lamu dépendent de la pêche. On va être les perdants", redoute Adam Lali Kombo. "Si on perd la pêche, on perd notre vie".
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