Inspire middle east
Pour ce nouvel épisode, l‘équipe d’Inspire Middle East s’est rendue au second Sommet mondial de la Tolérance, qui s’est déroulé à Abu Dhabi. L’occasion d’aborder cette thématique avec la princesse saoudienne Lamia bint Majid Al Saud.
Pour certains, la tolérance signifie l’absence de préjugés, pour d’autres, c’est la capacité à accepter les comportements de ceux avec qui nous sommes en désaccord. Selon la définition de l’UNESCO, il s’agit d’une “attitude active”, qui reconnait les droits fondamentaux des personnes et intègre leur diversité, et que les pays doivent défendre.
Cela reste toutefois un défi dans certains pays de la région Moyen-Orient Afrique du Nord (MENA), selon l’indice de prospérité Légatum de Londres de 2018, qui mesure la richesse et le bien-être des nations. Les Emirats Arabes Unis se trouvent à la 39ème place. Le pays possède pourtant un ministère dédié à la promotion de la tolérance et la reconnaissance des personne handicapées.
L’une des façon de favoriser l’unité passe par des célébrations communautaires et des ateliers, pour encourager les 200 nationalités des Émirats Arabes Unis à interagir et à porter le flambeau de la coexistence.
Abir Kazbour est une écrivaine et réalisatrice libanaise installée aux Emirats. Dans son livre “Les clés de la tolérance”, elle documente ses nombreuses rencontres avec des personnes de différentes ethnies. L‘écrivaine a adapté son livre en film. Pour une scène, Abir a ainsi recréé une expérience mémorable : il lui est arrivée d‘éteindre les bougies de sa colocataire indienne, sans réaliser qu’elle perturbait ses rituels de prière hindous.
Extrémisme et tolérance
Pour Abir Kazbour, il y reste encore beaucoup à parcourir sur le chemin de la tolérance, notamment dans sa ville natale, Tripoli. “La plupart des habitants appartenaient à une confession, se souvient-elle. Donc, quand on allait chez nos voisins, on nous disait : comment pouvez-vous aller chez eux ? Ils sont d’une autre confession, ils nous détestent.”
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Le Liban est gouverné par 18 groupes religieux différents, qui décident comment les citoyens se marient, héritent ou sont enterrés. Certains estiment que cela a contribué au malaise social, et même économique, du pays. En octobre, des manifestants sont descendus dans la rue, unis dans leur volonté de changement.
La fondation Adyan travaille depuis 2008 pour l’unification du Liban grâce à l‘éducation. Nayla Tabbara est la directrice citoyens et diversité du groupe. “Ce que nous devons faire, c’est amener les gens à vivre cette diversité comme une richesse et non comme une peur réciproque”, estime-t-elle.
Selon elle, l’acceptation peut empêcher l’isolement, et la radicalisation. “Nous voyons un lien direct entre l’extrémisme et la tolérance. L’extrémisme c’est, par définition, quand on n’accepte pas la différence.”
Situé à Abu Dhabi, le centre de lutte contre le terrorisme Hedayah estime que le manque d’opportunités économiques, ou de sentiment d’appartenance, peut rendre les jeunes plus vulnérables aux groupes extrémistes. Des événements festifs comme le sommet de la Tolérance peuvent donc être un bon point de départ, pour offrir un environnement stimulant et inclusif pour tous.
Promouvoir la paix et la compréhension
Des milliers de diplomates, de militants pour la paix et de chefs religieux de plus de 100 pays se sont réunis aux Emirats pour débattre de l’harmonie mondiale lors du sommet. Le ministre émirati de la Tolérance a notamment souligné combien l‘égalité des sexes et l‘éducation sont des facteurs clés de la réussite sociale et économique d’un pays.
Gamal Fouda, l’Iman de la Mosquée Al Noor de Nouvelle-Zélande a porté un message d’amour et d’unité. Il est l’un des survivants de l’attaque du 15 mars dernier, qui a fait 51 morts après qu’un homme a tiré sur des fidèles, dans deux mosquées à Christchurch.
Nous lui avons demandé comment il se sentait aujourd’hui. “Je suis très traumatisé, je peux dire ça, a-t-il répondu. Il y a trois semaines, j’ai commencé à revoir des choses et à me souvenir de tout ce qui s‘était passé. Et si quelqu’un m’en parle, je ne me sens vraiment pas bien.[…] Les chefs religieux, qu’ils soient musulmans, chrétiens, juifs, et même les personnes athées, tous ont une responsabilité. Ils doivent répandre un message d’amour. Le monde entier doit avoir cela en exemple, c’est ça la tolérance.”
La princesse saoudienne Lamia bint Majid Al Saud était également l’une des invitées d’honneur du sommet. Elle dirige l‘équipe féminine du groupe Alwaleed Philanthropies, basé à Riyadh. À ce jour, cette fondation caritative a donné plus de 4 milliards de dollars dans près de 160 pays. Elle oeuvre pour la réduction de la pauvreté et des maladies, tout en donnant plus d’indépendance aux femmes et aux jeunes.
La princesse Lamia est une femme d’affaires franche, qui accueille favorablement les changements rapides de son royaume. Inspire l’a rencontrée, en marge du sommet.
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“Je suis très contente que le pays s’ouvre”
Rebecca McLaughlin-Eastham : Votre altesse, bienvenue dans Inspire Middle East. Pouvez-vous définir la tolérance ? Qu’est-ce que ça veut dire pour vous ?
Lamia bint Majid Al Saud : Dieu nous a donné deux oreilles, et un bouche. Ce n’est pas un hasard. C’est pour écouter et comprendre davantage. Pour moi, la tolérance, c’est accepter l’autre, comprendre l’autre, s’intéresser aux autres.
A quoi ressemble la jeunesse d’Arabie Saoudite? Comment définiriez-vous cette future force de travail ?
70% de la population sont des jeunes et ils en veulent, ils souhaitent faire leurs preuves. Nous essayons de mieux comprendre les nouveaux emplois, bien sûr. Avant, nous n’avions jamais eu autant de visiteurs et de touristes. Donc, je crois qu’avec tout ce qui se passe, nous aurons une nouvelle Arabie saoudite complètement différente, dans les deux ou trois prochains mois.
Comme vous l’avez dit, l’Arabie Saoudite s’ouvre pour la première fois aux touristes. Mais comment décririez-vous le niveau global de tolérance dans le royaume, aujourd’hui ?
Il y avait peut-être des idées fausses concernant l’Arabie Saoudite, car nous avons les Deux Saintes Mosquées. Nous tenions à conserver cette atmosphère de pays musulmans fermé, donc tout le monde se demandait ce qu’il se passait ici, à quoi on ressemblait, comment on parlait, comment on s’habillait ? Mais aujourd’hui, je suis contente que le pays s’ouvre. Nous, les Saoudiens, sommes une communauté très accueillante. Mais nous n’avons jamais eu l’occasion de le montrer.
Vous êtes passionnée de voyage. Vous courez toujours d’un endroit à l’autre. Puis-je vous demander si vous avez déjà subi de l’intolérance dans un pays que vous avez visité ? Avez-vous été victime de préjugés ?
J‘étais à Paris pour le Festival du journal Le Monde. C‘était un débat ouvert, avec près de 250 participants. A l‘époque, il y avait un débat autour du burkini. Dans le public, il y avait des jeunes femmes voilées. L’une d’entre elles s’est levée et m’a demandé “Que pensez-vous du burkini ? Que pensez vous du fait qu’on ne puisse pas porter le Niqab en France ?”. Je l’ai regardé et j’ai dit : “C’est leur droit”. Elle a dit : “Quoi ?” J’ai répondu : “C’est leur droit, c’est leur pays. C’est tout”. Elle a répliqué : “Mais c’est la religion”. Alors j’ai dit : “Non, ce n’est pas la religion, c’est toi, c’est ta propre conception de la religion, mais ce n’est pas LA religion”. A l‘époque, toute femme qui venait en Arabie Saoudite devait porter l’abaya (ND : un vêtement ample). Si tu ne voulais pas, tu ne venais pas. C‘était comme ça. Maintenant c’est différent. Ce sont les règles du pays, il faut les accepter.
En parlant de mentalités, quelle est, selon vous, la meilleure façon de lutter contre l’islamophobie ?
En étant un bon musulman, c’est tout. Et pour être honnête, dans cette partie du monde, on nous associe toujours aux choses négatives. On voit toujours ce côté négatif, mais on ne met jamais en avant le positif. Donc, pour combattre l’islamophobie, il faut montrer le vrai islam.
Parlez-moi des droits des femmes en Arabie Saoudite. Il y a eu récemment des réformes importantes. Quelle sera selon vous la prochaine étape ?
Avant les années 1980, l’Arabie Saoudite était un pays tout à fait normal. Mais parce que beaucoup d‘événements et d’incidents se sont produits, cela nous a amené à cette situation qu’on a connu. Maintenant, si on pense à tous les noms que l’on voit désormais dans les informations, Rania Nashar, Sara Al Suhaimi, Reema Bint Bandar, moi-même … Si la génération précédente n’avait pas eu à l’esprit l’importance de l‘éducation, de la compréhension, ne nous avait pas poussé à accomplir nos objectifs, vous pensez que je serai là aujourd’hui ?
Vous êtes diplômée, entre autre, de journalisme. Vous avez également monté votre propre maison d‘édition. Permettez moi donc de vous interroger sur la tolérance et la liberté d’expression, en l’occurrence dans l‘édition. La fin de la censure, pas seulement en Arabie Saoudite mais plus globalement dans la région, c’est pour quand à votre avis ?
La liberté d’expression, c’est la façon donc vous délivrez un message, n’est-ce pas ? Je peux donc critiquer une personne devant moi, tout en le mettant à l’aise. Je pense que chaque pays doit décider où il place à la ligne rouge. Si vous êtes assez confiant, vous saurez comment fournir une information et vous aurez des propos clairs honnêtes.
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