Tunisie
La dernière fois qu'il a évoqué le FMI, le président tunisien a eu des mots cinglants. L'octroi par cette institution d'un crédit crucial pour la Tunisie, étranglée financièrement, paraît de plus en plus compromis, selon des économistes et des sources proches du dossier.
Après avoir évoqué une "malédiction antique" pesant sur le Fonds monétaire international, il a appelé dimanche dans un discours à Rome lors du sommet international sur les migrations, à "créer une nouvelle institution financière mondiale" pour "établir un nouvel ordre humain où l'espoir remplace le désespoir".
Malgré un premier feu vert de Washington en octobre dernier, les négociations avec Tunis pour un nouveau crédit du FMI de 1,9 milliard de dollars piétinent depuis fin 2022. Un accord apporterait une bouffée d'oxygène à un pays dont les difficultés croissantes inquiètent Europe et Etats-Unis, et déclencherait d'autres financements étrangers.
Endettée à hauteur de 80% du PIB, la Tunisie a un besoin criant d'argent pour régler les salaires des fonctionnaires (680 000 dans l'administration centrale) et ses dépenses courantes.
Subventions étatiques
Mais Kais Saied s'oppose aux "diktats" du FMI que sont, à ses yeux, deux mesures prévues pour obtenir le crédit : une levée graduelle des subventions étatiques aux produits de base, surtout sur les carburants et la restructuration d'une centaine d'entreprises publiques criblées de dettes.
"L'accord est bloqué à cause de Kais Saied qui rejette des réformes proposées par son gouvernement (au FMI), en particulier pour les subventions", explique à l'AFP Aram Belhadj, enseignant-chercheur à l'Université de Carthage.
Avec une économie marquée par de faibles salaires, le pays a instauré dans les années 70 une "Caisse de compensation" à travers laquelle l'État achète des produits de première nécessité pour les réinjecter à bas prix sur le marché.
Pour l'expert Belhadj, "si d'ici fin août, il n'y a pas de clarification de la position de la Tunisie, l'accord FMI sera enterré une fois pour toute". "Les négociations sont complètement à l'arrêt, c'est Tunis qui bloque", confirme à l'AFP l'économiste Ezzedine Saidane, soulignant que M. Saied "a vu dans ces réformes des choses qui le pénaliseraient politiquement".
Taxes
Le directeur du département régional du FMI, Jihad Azour, a indiqué à la mi-avril n'avoir reçu "aucune demande de Tunis pour la révision de son programme"."Depuis, il ne se passe plus rien", confie à l'AFP une source proche du dossier.
Début juin, M. Saied a de nouveau exclu de toucher aux subventions, annonçant à la place des taxes "pour prendre l'excédent d'argent aux riches et le donner aux pauvres".
Plus simple à dire qu'à réaliser : le déficit public (8% du PIB) provenait en totalité en 2022 des "compensations" étatiques, et aux deux tiers des subventions énergétiques après l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022 qui a fait flamber les cours du pétrole.
"Il n'y a pas grand-chose qui puisse remplacer le relèvement progressif des prix à la pompe prévu par le programme du FMI", estime la source informée.
M. Saidane déconseille une hausse des taxes alors que le pays, "avec la pression fiscale la plus élevée d'Afrique", est déjà "à la limite". Si la Tunisie décide de se passer du FMI, peut-elle tenir ou fera-t-elle défaut en cessant de rembourser ses dettes ?
Croissance faible
Pour 2023, le pays peut faire face à des échéances estimées à 21 milliards de dinars dont 12 en devises (environ 4 mds EUR), grâce au tourisme, aux envois de la diaspora, aux exportations de phosphates et à la baisse du coût de l'énergie, selon les économistes.
"Mais en l'absence d'accord, la situation va devenir de plus en plus difficile. Le risque de défaut sera très grand en 2024 et 2025", juge Aram Belhadj. Pour M. Saidane, l'État tunisien "semble avoir fait le choix de privilégier le remboursement de sa dette. Mais aux dépens de l'approvisionnement en produits de base".
Ces derniers mois ont déjà été marqués par des pénuries sporadiques de farine, de riz, de sucre ou d'essence, se traduisant par des rayons vides ou de longues queues devant certains magasins. Cette crise financière a d'autres conséquences néfastes.
L'État ne peut pratiquement financer aucun nouvel investissement, ce qui condamne la Tunisie à stagner, avec une croissance faible (environ 2%) et un chômage supérieur à 15%.
Pour financer ses dépenses, il sollicite aussi de plus en plus les banques locales, minant leur réputation à l’international : quatre d'entre elles ont vu leur note dégradée en début d'année par l'agence Moody's.
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