Kenya
Plus jeune président de l'histoire du Kenya, Uhuru Muigai Kenyatta quitte le pouvoir après une quasi-décennie à la tête du pays qu'il achève comme un chef d'Etat insondable au bilan en demi-teinte.
Marionnette ou stratège, héritier dilettante ou assoiffé de pouvoir ? Malgré une carrière politique de près de 30 ans, Uhuru Kenyatta reste un personnage difficile à cerner. Une chose est sûre : le "prince" de la politique kényane est indissociable de sa famille, la plus riche du pays et la seule qui lui ait donné deux présidents.
Silhouette massive, visage rond marqué de lourdes poches sous les yeux, cet homme de 60 ans a consacré son second et dernier mandat à tenter de consolider son héritage politique. Il aura tenté jusqu'au bout de peser sur l'avenir du pays, soutenant Raila Odinga pour la présidentielle du 9 août - à laquelle il n'avait pas le droit de briguer un troisième mandat - face à son vice-président William Ruto.
Il a perdu ce dernier pari, son alliance avec son ancien rival lui aliénant notamment son fief du Mont Kenya.
Stature internationale
Si l'ancien golden boy éduqué aux Etats-Unis s'est employé à renforcer la stature internationale du Kenya, qui siège actuellement au Conseil de sécurité de l'ONU et s'affiche fièrement comme la locomotive économique de l'Afrique de l'Est, son bilan domestique reste mitigé.
Dans son dernier discours lundi, Uhuru Kenyatta a souligné les progrès économiques du pays, qui s'apprête à "rejoindre le club des nations à revenu intermédiaire"."J'ai été guidé par le rêve de nos ancêtres : éliminer la pauvreté, l'ignorance et la maladie, améliorer la qualité de vie de tous les Kényans et créer les conditions permettant à chacun d'atteindre son but", a-t-il déclaré.
Sa politique de grands chantiers d'infrastructures a notamment été menée au prix d'une explosion de la dette, qui a atteint plus de 70 milliards d'euros (67% du PIB). Ses discours contre la corruption ont été accueillis avec apathie, voire ironie, dans un pays où les Kenyatta sont perçus comme l'incarnation d'une élite politique corrompue et peu concernée par l'intérêt général.
Au-delà d'un empire financier qui s'étend de l'agroalimentaire (Brookside) à la banque (NCBA) en passant par les médias (Mediamax), la famille Kenyatta est le premier propriétaire terrien du pays - un patrimoine à l'origine critiquée. La fortune du seul Uhuru, catholique pratiquant et père de trois enfants, était estimée à 500 millions de dollars par Forbes en 2011.
Gouvernement d'union nationale
Uhuru ("liberté" en swahili) est le fils du président Jomo Kenyatta (1964-1978), considéré comme le père de l'indépendance, et de son influente quatrième épouse "Mama" Ngina. Il se lancera en politique au milieu des années 90, poussé par le successeur de son père, l'autocrate Daniel arap Moi (1978-2002).
Battu lors de sa première tentative présidentielle en 2002, il soutiendra en 2007 le sortant Mwai Kibaki, dont la courte victoire va dégénérer en tueries politico-ethniques opposant Kikuyu et Kalenjin, deux des principales ethnies du pays. Kenyatta intègre dans la foulée un gouvernement d'union nationale, puis remporte en 2013 la présidentielle.
Le leader kikuyu s'est allié dans cette course à William Ruto, meneur des Kalenjin. Tous deux sont alors poursuivis par la Cour pénale internationale pour leur rôle dans les tueries de 2007-2008. Les charges contre le duo exécutif seront abandonnées après ce que le tribunal a dénoncé comme des "intimidations de témoins".
Uhuru Kenyatta redevient alors fréquentable et accueille tour à tour Barack Obama, le pape François, ainsi qu'une kyrielle d'investisseurs impatients de gagner ce pays dynamique. A Nairobi, observateurs et diplomates peinent à cerner sa personnalité. Certains décrivent "un fêtard porté sur la bouteille qui ne voulait pas le job", quand d'autres dépeignent un homme "assez charismatique", "politiquement capable et qui sait parler aux gens".
Mais la capitale bruisse des récits de ses virées nocturnes, incognito au volant d'une banale voiture, protégé par seulement quelques gardes du corps. Le 1er septembre 2017, après l'annulation historique de sa réélection par la Cour suprême, il traitera les juges d'"escrocs" devant les caméras.
Réforme constitutionnelle
Après quelques heures, il acceptera cependant le verdict, et sera définitivement réélu deux mois plus tard, dans un pays fracturé, où les manifestations de l'opposition - dont le leader Raila Odinga a boycotté le deuxième scrutin - ont été impitoyablement réprimées par la police.
Si bien que début 2018, il surprend tout le monde en concluant une trêve avec Odinga lors d'une poignée de main restée célèbre sous le nom de "Handshake". Ce pacte a attiré au cœur du pouvoir Raila Odinga, tenant à l'écart l'ambitieux vice-président William Ruto - à qui Kenyatta avait initialement promis son soutien pour 2022.
Kenyatta et Odinga porteront ensemble un projet de réforme constitutionnelle, baptisé "Building Bridges Initiative" (BBI) et créant notamment un poste de Premier ministre que beaucoup voyaient destiné au président sortant. Dénoncé par Ruto, le BBI sera finalement retoqué par la justice.
Uhuru Kenyatta s'apprête aujourd'hui à quitter - du moins en apparence - la scène politique. Interrogé l'année dernière sur son désir de rester au pouvoir, un Uhuru souriant déclarait à France 24, les yeux au ciel : "Oh, s'il vous plaît, s'il vous plaît ! J'aimerais mieux savourer des vacances en France chaque été."
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