République démocratique du Congo
L'annonce lundi à Nairobi du déploiement d'une force régionale dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC) est accueillie avec une grande méfiance voire une franche hostilité dans les provinces concernées, qui demandent plutôt une réforme et un renforcement de leur armée nationale.
"Nous rejetons vigoureusement" ce projet et "vous appelons à y renoncer", écrit dans une lettre au président de RDC Félix Tshisekedi le mouvement citoyen Lucha (Lutte pour le changement), créé il y a dix ans à Goma, chef-lieu du Nord-Kivu.
"Au moins trois des sept États membres de la Communauté d'Afrique de l'Est (EAC) - le Rwanda, l'Ouganda et le Burundi - sont impliqués depuis plus de deux décennies dans la déstabilisation de notre pays, à travers des interventions directes de leurs armées ou à travers des groupes armés", poursuit la Lucha, qui évoque des raisons "sécuritaires, économiques ou géopolitiques".
Rébellion du M23
Avant la réunion de lundi de l'EAC, la présidence de la RDC avait fait savoir qu'elle s'opposait à la participation du Rwanda à une éventuelle force régionale car, selon elle, Kigali se livre de nouveau à une "agression" du Congo en soutenant la rébellion du M23 (Mouvement du 23 mars), ce que le Rwanda dément.
"Placée sous commandement militaire du Kenya, cette force (...) ne devrait pas comprendre en son sein d'éléments de l'armée rwandaise", a-t-elle affirmé lundi soir sur Twitter, alors que la présidence kényane ne donnait aucune précision sur la composition de cette force, appelée à être déployée au Nord-Kivu, au Sud-Kivu et en Ituri. Mais même si le Rwanda n'en fait pas partie, cette idée de force régionale ne convainc pas.
Présence de la MONUSCO
"Je suis contre, vraiment, c'est assez !", lance Tito Rushago, un vendeur de samoussas interrogé mardi dans une rue de Goma. "Il y a tous les pays, ici, Sénégalais, Tanzaniens, Uruguayens...", énumère-t-il, en référence à la force de l'ONU (la MONUSCO), dont la présence depuis 20 ans dans le pays "n'a rien changé", estime aussi Patrick Bahati, motard.
Alfred Kenge, commerçant, promet quant à lui de "marcher encore" (manifester), contre le déploiement de cette force, tandis qu'un autre motard, Patrick Hamuli, parle même de "trahison". Plutôt que l'arrivée d'autres troupes étrangères, tous demandent que l'armée congolaise, les FARDC (Forces armées de RDC), soit "renforcée", "réformée", que ses hommes soient "bien payés" et disposent des rations nécessaires, que les "officiers corrompus, qui profitent de la guerre", soient remplacés.
"Agenda caché"
"Je doute de l'efficacité de cette force", déclare dans la province voisine d'Ituri le pasteur James Biensi, de l'"Église francophone CECA 20" de Bunia, en soupçonnant un "agenda caché". Les pays concernés ne s'entendent pas entre eux, constate-t-il, en rappelant par ailleurs lui aussi que la MONUSCO n'est pas parvenue à rétablir la paix. "Qui fera mieux ?", s'interroge-t-il.
"Je suis sceptique quant à l'opérationnalité d'une force constituée de pays qui ont des intérêts dans le nôtre", commente également à Bukavu, chef-lieu du Sud-Kivu, Raphaël Wekenge, coordonnateur de la Coalition congolaise pour la justice transitionnelle (CCJT).
Opérations conjointes
Paulin Mulume, du collectif des mouvements citoyens Amka Congo, assure "regretter" la décision prise à Nairobi. "On a déjà eu plusieurs opérations conjointes dans l'est du pays, qui n'ont pas porté leurs fruits", certaines ayant même laissé "de très mauvais souvenirs", ajoute-t-il.
"On ne sait pas ce qui a poussé notre président à s'engager dans cette affaire, il fallait passer par le Parlement", juge Paulin Mulume. "Nous pensons qu'il va revenir à la raison", espère Judith Maroy, de la Lucha du Sud-Kivu.
Armes de guerre
A Bukavu, le Dr Denis Mukwege, qui a reçu le prix Nobel de la paix en 2018 pour son action en faveur des femmes victimes de viols utilisés comme armes de guerre, avait manifesté dès la semaine dernière son opposition au déploiement d'une "force régionale composée par des pays à la base de la déstabilisation, d’atrocités et du pillage de nos ressources".
Cela "n’apportera ni la stabilité ni la paix et risque d'aggraver la situation", mettait-il en garde, en appelant lui aussi à une "réforme" des FARDC.
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