Inspire middle east
Dans cette édition, Inspire Middle East vous invite à explorer le marché du commerce électronique dans la région à l‘ère du post-Covid.
Nous donnons aussi la parole à l’entrepreneuse Joy Ajlouny, une virtuose de la « disruption » spécialisée dans le lancement des startup et la levée de fonds.
Et nous partons à la découverte de jeunes pousses de la technologie qui commencent à émerger dans la région.
Une « serial entrepreneuse », fine conseillère pour les startup
Ne jamais prendre un non pour une réponse ferme, ne jamais cesser de promouvoir son entreprise et oublier sa vie personnelle… Ce sont quelques-uns des mantras de celle qui se présente sans complexe comme « un éléphant dans un magasin de porcelaine » et qui fonctionne au défi.
Née en Californie de parents palestiniens, Joy Ajlouny est une entrepreneuse connue pour faire fructifier les jeunes pousses à travers le monde et a levé plus de 100 millions de dollars de financements. Elle est aussi la cofondatrice de Fetchr, la société qui a révolutionné le secteur de la livraison au Moyen-Orient en supprimant l’impératif d’une adresse.
D’après Startup Genome, le numéro un du conseil aux jeunes entreprises innovantes, à l‘échelle planétaire, la « startup economy » pèse 3000 milliards de dollars et représente 7 des 10 sociétés qui comptent le plus dans la Tech.
Le marché des startup au Moyen-Orient se développe rapidement, mais comme le reste du monde, il se relève difficilement de la crise du Covid-19. Selon le rapport de ce cabinet de conseil, plus de 70 % des startup à travers le monde ont vu leurs revenus chuter. Ceci dit, décrocher des financements reste possible. Pour preuve, la grande récession de 2008 : à l‘époque, des entreprises comme Facebook et LinkedIn avaient levé du capital risque.
Les startup sont un levier de création de richesses et d’emplois et des villes du Moyen-Orient comme Abu Dhabi et Dubaï figurent au top 100 du classement mondial des écosystèmes émergents. Joy se sent chez elle aux Émirats arabes unis et elle se dit fascinée par le dynamisme de la capitale. Elle nous en dit plus dans cette interview :
Rebecca McLaughlin-Eastham, Euronews : « Joy, vous qui parlez aux innovateurs, aux futurs entrepreneurs, et plus particulièrement en ce qui concerne la capitale qui se veut un pôle en matière de technologie, d’innovation, de créativité, mais aussi de commerce électronique, que se passe-t-il d’incontournable à Abu Dhabi ? »
Joy Ajlouny : « Je suis tellement impressionnée, et je suis particulièrement impressionnée – je le dis d’ailleurs avec beaucoup de fierté – par les efforts du gouvernement d’Abu Dhabi et du bureau d’investissement d’Abu Dhabi. Ce qu’ils font est spectactulaire. J’aurais aimé avoir cette opportunité quand j’ai démarré. Ils bâtissent une infrastructure pour investir non seulement dans les startup mais aussi dans le capital risque et ils comprennent que les startup sont l’avenir et que l’avenir, c’est aussi investir dans la technologie, dans les idées brillantes et dans la jeunesse. Ils ont fait un travail incroyable avec Hub71. Maintenant, si vous montez une startup, vous pouvez obtenir des financements, des locaux et un véritable soutien, pas seulement de belles paroles mais un vrai soutien. »
Euronews : « Joy, quand vous connaissez le paysage des startup et du commerce électronique aux Émirats arabes unis, quelle comparaison faites-vous avec la Silicon Valley par exemple, et que manque-t-il à l‘écosystème ici ? »
Joy Ajlouny : « Il y a une immense population ici qui a besoin de disruption et il y a beaucoup d’idées. La technologie de la finance, de l‘éducation, de la santé, ce sont des choses dont le système a vraiment besoin. Donc il faut mettre en place ces politiques. La bonne nouvelle, c’est qu’ici, elles peuvent se mettre en place du jour au lendemain. Il y a des opportunités pour réaliser de vrais changements très rapidement. »
Euronews : « Quelle est la plus grande erreur que font les entrepreneurs et les startup de la Tech ? »
Joy Ajlouny : « Je vois deux choses. Ils confondent l‘équipe et la performance des unités commerciales. Si votre société échoue, c’est clairement un énorme fardeau pour le responsable financier qui est à l’origine de la faillite. Il faut trouver les moyens d‘être performant. Et la performance de l’unité, cela signifie atteindre la rentabilité le plus rapidement possible. »
Euronews : « Joy, les attentes des investisseurs, en particulier dans cette région, sont-elles réalistes vis-à-vis des startup ? Veulent-ils jouer un rôle plus actif et poussent-ils pour une rentabilité très rapide ? »
Joy Ajlouny : « Si vous êtes un investisseur et que vous pouvez ouvrir la voie au développement d’une startup, alors, c’est votre responsabilité de le faire. Mais se mêler des aspects opérationnels du quotidien est plutôt quelque chose de perturbant. »
Euronews : « Vous êtes la personnes la plus indiquée pour donner une “masterclass” sur la levée de fonds, en particulier dans cette période morose. Quand vous parlez à des gens qui veulent lancer une affaire et qui recherchent des capitaux, que leur dites-vous ? Quels sont vos conseils ? »
Joy Ajlouny : « Ils ont littéralement deux minutes pour faire passer leur proposition de valeur, ils doivent convaincre très rapidement, et faire comprendre aux investisseurs ce qu’il y a de passionnant dans leur projet. La deuxième chose, c’est qu’ils ne savent pas raconter leur projet. Pitcher, c’est ce qui compte le plus parce qu’au début vous ne faites pas de bénéfices, vous devez vendre le talent de votre équipe, vendre votre idée et les investisseurs doivent croire en vous. »
Euronews : « Pourquoi les femmes obtiennent-elles moins de 3 % des financements de capital risque et pourquoi ne voit-on pas plus de femmes monter des entreprises dans la Tech ? »
Joy Ajlouny : « C’est clairement un problème et pas seulement au Moyen-Orient. C’est un problème dans le monde entier. Tout le monde semble croire que la technologie est une affaire d’homme, mais ce n’est pas le cas. Je pense que c’est un segment du monde du travail que les femmes commencent à investir. D’ailleurs les femmes qui obtiennent des financements – c’est un fait connu et je le dis avec une certaine fierté – dégagent de meilleurs retours sur les investissements en capital risque. Les retours de femmes fondatrices ont dépassé toutes les attentes avec des sociétés pesant des milliards de dollars. »
En tant que supportrice passionnée des femmes qui bousculent le paysage conventionnel du monde du travail, Joy espère que la prochaine génération de startup, aux Émirats arabes unis et ailleurs, jouera dans la ligue des entreprises à succès.
SEP Jordan, la petite marque qui monte sur le Net
En ces temps difficiles, dans l’ensemble de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, de jeunes entrepreneurs se tournent vers le commerce électronique.
Un rapport de Bain & Co le confirme : le marché du e-commerce a atteint des sommets dans la région MENA : 8,3 milliards de dollars en 2017. Avec une croissance annuelle de 25 %, le commerce électronique y progresse légèrement plus vite que la moyenne mondiale, les pays du Conseil de coopération du Golfe et l’Egypte représentant 80 % du marché.
Le tout-numérique pendant la pandémie a profité à SEP Jordan, acronyme de Social Enterprise Project. Cette marque de mode et de décoration emploie 560 femmes, essentiellement des Palestiniennes du camp de réfugiés de Jerash, en Jordanie, qui créent des accessoires cousus main. La Jordanie compte deux millions de réfugiés palestiniens vivant avec moins de deux dollars par jour, selon les Nations Unies. Les ouvrages délicats de ces brodeuses sont vendus en boutique et en ligne et permettent à ces femmes de gagner jusqu‘à 200 dollars par mois, un sésame pour l’indépendance.
« Maintenant je peux compter sur moi-même, se réjouit Haleema al-Ankasoori, l’une des employées qui vit dans le camp de Jerash. Je n’ai pas besoin de l’aide de qui que ce soit. Nous pouvons payer ce que nous devons avec le fruit de notre travail, notre salaire et notre savoir-faire. »
Avant la pandémie, les ventes en ligne représentaient 20 % des quelques 5000 ventes annuelles de la marque. Mais entre mars et juin, elles ont quasiment doublé.
« Nous utilisons Internet pour créer davantage de lien avec les clients, en rendant leur expérience plus personnelle, en leur montrant comment sont faits les articles et par qui », explique Waseem Salameh, le responsable de projet de SEP Jordan.
Pour l’entreprise, partager les histoires humaines qui accompagnent chaque pochette, chaque keffieh, coiffe traditionnelle ou châle est la meilleure des vitrines mondiales. La marque qui monte a même fait une apparition sur Netflix, drapée autour du coup du personnage principal dans la série « Blacklist ». Elle a sû sortir du lot derrière les écrans, une belle réussite.
En Tunisie, deux jeunes influenceurs qui ont la cote
Créer de nouvelles expériences en ligne et sur les réseaux sociaux. C’est la voie empruntée par certains dans la région pour réorienter les achats des cyberclients. Et ce sont surtout les jeunes qui innovent, en bousculant les modèles d’entreprise conventionnels.
Dépasser le conventionnel, c’est ce qui caractérise le couple formé par Samy Chaffai et Balkis Ksouri, sortis de l’anonymat grâce aux réseaux sociaux et qui utilisent l’art et leur influence pour booster les achats en ligne en Tunisie. Âgés de la vingtaine, ils postent des vidéos et des photos sponsorisées. À eux deux, ils totalisent près de 2 millions de followers Instragram.
Samy, qui rêve de cinéma, est convaincu que les acheteurs ont besoin de s’identifier à des personnes qui les inspirent. À l‘ère de l’entertainment, il faut bien sûr être inventif. Mais la star des réseaux sociaux tunisiens prend aussi son rôle très à coeur et cite volontiers cette phrase de son idôle Spiderman : « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ».
« J’aime combiner l’expérience cinématographique avec la réalité et l’authenticité, explique-t-il. En même temps, je dois respecter ce que ma partenaire attend de moi. Donc c’est un partenariat gagnant-gagnant. Je dois rester honnête envers ma communauté. »
Le glamour qu’ils projettent ne reflètent pas forcément les fins de mois de Samy et Balkis, avec des revenus irréguliers allant de 0 à 2000 dollars. Balkis n’en a pas moins décidé d’arrêter les études pour se consacrer pleinement à son activité de créatrice de contenus. Mais beaucoup de Tunisiens, dit-elle, ont du mal à comprendre qu’on puisse en faire son métier.
« Nous ne sommes pas considérés comme des personnes ayant un vrai travail, déplore-t-elle. On crée des contenus divertissants, mais pour la plupart des gens, ce n’est pas une activité professionnelle. C’est triste, parfois même humiliant. »
Reconnaissance ou pas, Balkis s’accroche à son rêve, celui de créer un jour sa propre marque. Et elle espère que ses followers continueront de lui être fidèles, même si pour d’autres pans de la société, elle reste un phénomène éphémère.
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