Ethiopie
Affaiblie par plusieurs jours sans manger, elle s'était rendue dans un hôpital du Tigré, région éthiopienne en situation de famine depuis plus de deux ans. Alitée, elle quémandait quelques gorgées d'eau, qu'elle peinait à avaler en raison de ses muscles atrophiés.
Quatre jours plus tard, cette mère de 45 ans est morte, laissant cinq orphelins. Mais "nous n'avons pas les moyens de nous occuper de ses enfants", se désole son neveu, Desta Hailu (le nom a été modifié), qui a raconté l'agonie de sa tante à l'AFP par téléphone.
Sept mois après l'accord qui a mis fin à deux ans d'un conflit dévastateur, le Tigré crie famine. Et la situation risque de s'aggraver après les décisions en mai du Programme alimentaire mondial (PAM) de l'ONU et de l'agence d'aide du gouvernement américain (USAID) de suspendre leur aide alimentaire au Tigré en raison de détournements.
Lors de son entretien avec l'AFP, Desta Hailu, professeur d'université dans la ville d'Adigrat, située à quelques kilomètres de la frontière érythréenne, a raconté n'avoir pas mangé depuis deux jours. Son dernier repas se composait d'une tranche de pain avec du thé.
Avec sa femme, ils se privent pour pouvoir nourrir leurs enfants. Mais ce n'est jamais suffisant. "Mon fils se plaint constamment de la faim, il veut manger la portion de sa petite sœur", raconte le quadragénaire.
Région de six millions d'habitants située dans le nord de l'Ethiopie, le Tigré est en quête de nourriture depuis plus de deux ans.
Durant la guerre qui a fait rage entre novembre 2020 et novembre 2022, des experts de l'ONU ont accusé le gouvernement fédéral éthiopien d'avoir soumis la région à un blocus "de fait".
Les autorités ont nié ces allégations, accusant les autorités rebelles du Tigré de réquisitionner l'aide alimentaire pour leur effort de guerre.
Le gouvernement éthiopien refusant toujours l'accès du Tigré aux journalistes, l'AFP n'est pas en mesure de vérifier de manière indépendante les informations sur le terrain.
Après l'accord de paix signé en novembre, les services de base - électricité, banques, télécommunications - sont progressivement revenus. La faim, elle, demeure.
"Le nombre de personnes se rendant dans les centres de distribution alimentaire a augmenté", estime même Nigisti Solomon, travailleuse bénévole dans un centre financé par le Tigray Action Committee, groupe de pression de la diaspora tigréenne basé aux Etats-Unis.
Des déplacés mendient dans la rue, d'autres font la queue devant les centres de distribution de nourriture, raconte-t-elle par téléphone.
Le PAM et USAID ont gelé l'aide au niveau national en juin après avoir découvert qu'elle était détournée vers les marchés locaux. Aucune des deux organisations n'a identifié les responsables de ces détournements.
Desta Hailu et Nigisti Solomon assurent avoir déjà vu de l'aide vendue, comme par exemple des couvertures, les marchands se justifiant en disant avoir besoin d'argent pour acheter nourriture, médicaments ou du savon.
"Les gens sont désespérés, ils veulent survivre (...) et remplir leurs estomacs", explique Desta Hailu.
Le PAM a refusé les demandes d'interviews de l'AFP. Les porte-parole du gouvernement éthiopien et d'USAID n'ont pas donné suite aux sollicitations.
"Il y a un mois, il y avait un patient d'une quarantaine d'années avec une obstruction intestinale. Nous l'avons opéré (...) et il a développé une septicémie à cause de la malnutrition et il est décédé", raconte un chirurgien d'Adigrat, Gaym Gebreselassie.
"Nous voyons des preuves évidentes de la faim. (...) On ne peut pas opérer en confiance dans ces conditions", poursuit-il.
"Nous voyons des nourrissons qui souffrent d'insuffisance pondérale importante, qui ne peuvent pas bien respirer (...) Les enfants en insuffisance pondérale ne se développent pas correctement", souligne-t-il.
Gaym Gebreselassie, sa femme et ses deux enfants âgés de six et deux ans, dépendent eux aussi de l'aide alimentaire, conséquence de plusieurs mois de salaires impayés. A cause de la malnutrition, ses deux fils ont contracté des infections, affirme-t-il.
Pour le chirurgien, la suspension de l'aide alimentaire "est une peine de mort".
Avant que la guerre n'éclate en novembre 2020, il menait une vie confortable, assure-t-il. Puis les troupes érythréennes, qui ont soutenu l'armée fédérale éthiopienne, ont occupé et pillé sa maison.
Dans les mois qui ont suivi, sa tante et le cousin de sa mère, tous deux âgés d'une quarantaine d'années, sont morts à cause de la malnutrition.
Aujourd'hui, les journées de Desta Hailu tournent autour de la recherche désespérée de nourriture pour que ses enfants mangent au moins une fois par jour. "Si cette situation perdure, j'ai peur de perdre mes enfants à cause de la faim, qu'ils meurent sous mes yeux".
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