Soudan
Zeinab et sa sœur fuyaient la guerre à Khartoum quand des paramilitaires ont détourné leur bus. Ils les ont emmenées dans un entrepôt. Et là, l'enfer a commencé.
Mi-mai, un mois après le début de la lutte sans merci entre l'armée et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), ces derniers ont séparé Zeinab, sa sœur et deux autres femmes, des passagers hommes, raconte la jeune femme.
En vain, elle a essayé de cacher sa cadette. Et quand un homme "en civil qui semblait être le commandant", lui a intimé de s'allonger au sol, elle a tenté de résister, dit-elle, témoignant sous pseudonyme auprès de l'AFP depuis le pays où elle a finalement trouvé refuge.
Elle a alors été "maintenue par un homme qui pointait une arme sur (sa) poitrine pendant qu'un autre (la) violait". Avant qu'ils ne les relâchent finalement, sa sœur et les autres femmes, dont l'une accompagnée de son nourrisson, ont toutes été violées.
Fin avril au Darfour (ouest), 12 autres femmes ont vécu le même cauchemar : des hommes "en uniforme des FSR" leur ont ordonné de transporter le butin de leurs pillages dans un entrepôt où "elles ont toutes été violées en même temps", raconte à l'AFP Amna, une militante qui parle sous pseudonyme par peur des représailles.
Souleima Ishaq al-Khalifa, une docteure à la tête de l'organe gouvernemental de lutte contre les violences faites aux femmes, a recensé durant les deux premières semaines de la guerre au moins 49 agressions sexuelles. Toutes au Darfour et à Khartoum où se concentrent les combats.
A l'exception de six d'entre elles, les rescapées ont toutes accusé des "hommes en uniforme des FSR" d'en être les auteurs, explique-t-elle à l'AFP.
Depuis le 15 avril, les combats qui opposent les paramilitaires du général Mohamed Hamdane Daglo à l'armée régulière du général Abdel Fattah al-Burhane ont fait plus de 1 800 morts et plus d'un million et demi de déplacés et réfugiés.
Le nombre d'agressions sexuelles, lui, n'est pas connu mais la représentante de l'agence de l'ONU pour les femmes au Soudan, Adjaratou Ndiaye, a dit à l'AFP avoir reçu des informations sur "des viols de masse" au Darfour.
La docteure Khalifa, elle, affirme recevoir "jour et nuit" de nouveaux appels. Mais pour une militante de la Sudanese Women Rights Action (SUWRA), "ce n'est que la partie émergée de l'iceberg".
Et les cas que l'on parvient à documenter ne représentent que "2 à 3%" des viols, explique-t-elle à l'AFP depuis l'étranger, sous couvert d'anonymat. À chaque fois qu'une femme sort, "pour acheter à manger" par exemple, "elle est en danger", affirme Dr Khalifa.
Une adolescente de 15 ans a ainsi été "violée en public par des miliciens des FSR", rapporte le "comité de résistance" de Khartoum-Nord.
Ces groupes qui organisaient auparavant les manifestations contre le pouvoir militaire gèrent aujourd'hui un réseau d'entraide pour la nourriture, les soins ou les évacuations dans chaque quartier.
Dr Khalifa insiste : "même chez elles", les femmes sont en danger. Une femme, âgée d'une trentaine d'années, a ainsi été violée à son domicile, raconte la militante de SUWRA.
"Elle était seule avec ses jeunes enfants quand elle a entendu ses voisines du dessous crier", rapporte-t-elle. Trois femmes d'une même famille ont été violées par plusieurs hommes. Ils sont ensuite montés, ont cassé sa porte et l'un d'eux l'a violée, raconte-t-elle.
La grande majorité des rescapées accusent les FSR, bien plus présentes dans les quartiers résidentiels que l'armée souvent cantonnée à ses casernes.
Mais Dr Khalifa dit avoir aussi reçu des informations sur "des viols perpétrés par des hommes en uniforme de l'armée", qu'elle n'a "pas pu jusqu'ici confirmer".
Pour un groupe d'avocats qui recense depuis des années les viols commis par les forces de sécurité, les agressions sexuelles sont "systématiques" et visent "toutes les couches de la société". Selon les militants, les victimes parvenant à rejoindre les hôpitaux - souvent sous les tirs des belligérants - sont celles ayant subi les attaques les plus violentes.
Pour les aider, le syndicat des médecins a publié une liste des établissements distribuant le traitement en cas de possible exposition au virus du VIH. Mais avec trois quarts des hôpitaux hors d'usage et le reste en pénurie de médicaments, il faut souvent improviser, rapportent médecins et pharmaciens.
En l'absence de pilule du lendemain, les rescapées repartent souvent avec uniquement une prescription de contraceptifs à haute dose. Or, même ces pilules commencent à manquer.
Le comité de résistance d'un quartier pauvre du nord de Khartoum est parvenu à en trouver quelques-unes pour deux survivantes fin mai, rapporte l'un de ses membres à l'AFP. Ce jour-là, trois soldats de l'armée régulière sont entrés dans une maison. Ils ont "violé la mère et la fille", affirme-t-il, sous le couvert de l'anonymat.
Le viol en temps de guerre n'est pas nouveau au Soudan, rappelle l'avocate des droits humains Jehanne Henry. L'armée et les Janjawids - ces miliciens arabes envoyés par le dictateur Omar el-Béchir pour décimer les minorités ethniques aujourd'hui intégrés aux FSR - "étaient connus pour leurs violences sexuelles pendant la guerre lancée en 2003 au Darfour", affirme-t-elle à l'AFP.
La Cour pénale internationale a émis deux mandats d'arrêt contre Béchir, notamment pour des viols au Darfour. Aujourd'hui, ceux qui tentent de venir en aide aux femmes se disent menacés.
Amna raconte que l'une de ses camarades a été "interrogée par les FSR" qui la soupçonnaient d'informer l'armée. Elle ne leur a pas dit qu'elle conservait précieusement chaque détail des viols que lui confient des rescapées.
Ils permettront peut-être un jour "de faire rendre des comptes aux responsables", veut-elle croire.
Zeinab, elle, en doute. "J'ai porté plainte mais je sais que c'est inutile, on ne mettra jamais la main sur les hommes qui ont fait ça." Pour elle, en tout cas, "rien ne sera plus comme avant".
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