Mali
Le Mali s'est lancé dans un travail d'écoute et de réparation pour près de 30.000 victimes, à la recherche d'une catharsis nationale après des décennies de violences toujours d'actualité.
Le temps a comme suspendu son cours la semaine passée quand on a baissé la lumière dans la salle de conférences de Bamako, lors de la cinquième audience publique de témoignages de victimes devant la Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR).
Une femme, entièrement voilée pour préserver son anonymat, s'est assise sur la scène volontairement assombrie et a débuté d'une voix fluette son glaçant témoignage: "J'ai été violée par sept personnes, devant mon enfant de quinze ans".
C'était en 2012 à Gao (nord), première grande ville du nord à tomber entre les mains des rebelles indépendantisres et jihadistes alors alliés dans la conquête du territoire. Dix ans après, Gao a été reprise mais le Mali est toujours dans la tourmente.
Son intervention, retransmise en direct par la télévision nationale et sur les réseaux sociaux, en a bouleversé plus d'un dans la salle plongée dans le silence.
Abdoulaye Touré, membre d'une ONG locale de 32 ans, confiait "ne pas savoir quoi dire devant tant d'horreurs".
"J'ai beaucoup pleuré, j'ai eu très mal, j'ai eu mal en entendant ces ménagères qui n'ont rien, qui ont vécu dix ans de souffrances, et c'est aujourd'hui seulement qu'on parvient à écouter leurs voix", a abondé Fabiola Wizeye Ngeruka, fonctionnaire internationale spécialiste du genre.
"Toutes les victimes ont dit +on veut un Mali pacifique+, vraiment c'est tout ce qu'on peut demander: la paix au Mali", a-t-elle continué.
La Commission Vérité, Justice et Réconciliation a été créée en 2015 quand les insurgés indépendantistes du nord ont signé des accords de paix avec le gouvernement qu'ils avaient combattu. Cette commission fait partie d'une diversité de dispositifs censés aider à réconcilier les Maliens, avec des effets relatifs. Les jihadistes ont poursuivi leur expansion et la violence a métastasé plus au sud et dans les pays voisins.
La Commission a recueilli la parole des victimes des crimes commis depuis l'indépendance en 1960. Depuis deux ans, elle organise des audiences publiques.
"Pas un tribunal"
L'hstoire contemporaine du Mali a été marquée par les coups d'Etat, les dictatures militaires, les rébellions touarègues et depuis 2012 une spirale de violences dont les jihadistes affiliés à Al-Qaïda ou à l'organisation Etat islamique sont les principaux auteurs mais pas les seuls.
Les premières victimes sont les civils. Un récent rapport de l'ONU s'alarme du fait que ces derniers mois aient été les plus meurtriers pour eux depuis des années.
Les enquêteurs de la CVJR, dispersés dans toutes les villes, ont recueilli les témoignages de 28.877 victimes.
"A chacune, avant de commencer, on a demandé si elle était prête pour le pardon et la réconciliation. On a été surpris, tout le monde a dit oui. Mais la question demeure sur les conditions de ce pardon", souligne Ousmane Oumarou Sidibé, président de la CVJR.
"La catharsis est un travail de long terme qui ne doit pas être porté par la CVJR seulement", estime M. Sidibé pour qui le plus important est "que tout le monde trouve sa place dans le pays !"
La Commission doit servir de base pour mettre en place d'autres outils.
Par exemple, l'idée de réparations financières est à l'étude, a déclaré le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga en prélude à l'audience.
La question de la justice contre les auteurs de crimes se pose aussi, comme elle s'est posée pour d'autres commissions instituées ailleurs en Afrique. La commission "n'est pas un tribunal", assure son président.
La commission est "un outil formidable qui a réalisé un travail important", dit Ibrahim Maïga, chercheur spécialiste du Sahel à l'International Crisis Group.
Mais "il faut voir comment capitaliser sur ce travail, quel rôle pourrait jouer la structure qui prendra le relais de la CVJR", explxique-t-il, notamment "dans la perspective du dialogue tant attendu avec les groupes jihadistes".
Un certain nombre d'acteurs croient la paix impossible sans dialogue avec les jihadistes.
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