Sud-Soudan
Les élections sont des étapes cruciales dans les pays sortant d’un conflit, et nulle part ailleurs l’impatience des électeurs n’est plus ressentie qu’au Soudan du Sud, la plus jeune nation du monde.
Le pays, qui a obtenu son indépendance en 2011 après un long conflit avec le Soudan, n’a pas connu d’élections depuis.
Une date a été fixée pour un scrutin national : le 22 décembre 2024. Pourtant, la date reste incertaine, les Nations Unies et d’autres doutant que les préparatifs adéquats aient été faits.
Le scrutin proposé fait suite à des années de retard : une élection devait avoir lieu en 2015, mais elle a été reportée après que le jeune pays ait sombré dans la guerre civile.
Le scrutin de 2024 était sur le point de façonner l’avenir d’un pays toujours aux prises avec les défis de la consolidation de la paix et de la gouvernance – le Soudan du Sud est entré dans une période de transition post-guerre civile en 2018, mais des violences sporadiques, principalement intercommunautaires, continuent. Un scrutin national offre une occasion cruciale de consolider une paix durement gagnée et de tracer la voie vers un avenir plus stable et démocratique.
Mais le pays n’a pas réussi à établir un cadre électoral solide, essentiel à des élections justes et crédibles – y compris les conditions constitutionnelles, juridiques, financières et politiques pour garantir la faisabilité de la tenue d’un scrutin national crédible. De plus, les désaccords profonds entre les dirigeants politiques menacent d’aggraver la situation.
En tant que chercheur spécialisé dans la gouvernance mondiale et la sécurité humaine en Afrique, je partage l’inquiétude selon laquelle l’échec ou le retard de ces processus électoraux pourrait conduire à une régression périlleuse vers le conflit.
Manque de financement pour les élections
Des élections réussies pourraient rehausser la réputation internationale du Soudan du Sud en démontrant sa maturité politique et son engagement envers la démocratie après des années d’instabilité. Les acteurs régionaux et internationaux ont exhorté le gouvernement à organiser les élections promises dans le cadre de l’Accord revitalisé de 2018 sur la résolution du conflit au Soudan du Sud. En raison des retards dans la mise en œuvre, une feuille de route a été approuvée en août 2022 pour guider le processus de paix et les élections.
En décembre 2022, le gouvernement a reconstitué des organes clés, notamment la Commission nationale de révision constitutionnelle et la Commission électorale nationale, en guise de prélude aux élections. Cependant, les deux entités sont confrontées à des difficultés financières, la Commission nationale de révision constitutionnelle n’ayant encore reçu aucun financement.
Ces problèmes financiers constituent un obstacle majeur. Bien que la Commission électorale nationale et le Conseil des partis politiques, un organe chargé de promouvoir le dialogue et la coopération politiques, aient reçu un certain financement, celui-ci est insuffisant pour fonctionner pleinement. Les parties prenantes internationales, notamment les Nations Unies, l’Union africaine et l’UE, s’attendaient à ce que le gouvernement finance les élections, mais les retards persistants ont laissé les organismes internationaux conseiller et encourager le gouvernement en retrait, préoccupés par le manque de progrès.
Baisse des revenus pétroliers, difficultés économiques
Riche en ressources pétrolières mais extrêmement pauvre, le Soudan du Sud est actuellement confronté à une baisse significative de sa capacité à financer les processus électoraux. Cette baisse est principalement due à une forte réduction des revenus pétroliers, aggravée par des difficultés économiques et le détournement des ressources par l’élite dirigeante.
A l’indépendance en 2011, et avant le conflit qui a éclaté deux ans plus tard, les exportations quotidiennes de pétrole du Soudan du Sud s’élevaient à 300 000 barils. Cependant, le conflit en cours et les dommages aux infrastructures ont entraîné une baisse constante de la production, les exportations actuelles étant réduites à environ 150 000 barils par jour. Les projections indiquent une diminution continue de la production de moitié environ tous les cinq ans. Les facteurs aggravant la baisse des revenus pétroliers du Soudan du Sud comprennent la volatilité des prix mondiaux du pétrole, l’instabilité interne et la mauvaise qualité du pétrole brut.
Les investisseurs potentiels sont également découragés par les puits de pétrole endommagés par la guerre et les complexités logistiques et politiques associées à l’exportation de pétrole via le Soudan voisin. Des perturbations majeures dans les exportations de pétrole ont été constatées après une rupture désastreuse sur l’oléoduc crucial chargé de transporter le pétrole brut du Soudan du Sud enclavé vers la plaque tournante de la mer Rouge de Port Soudan pour l’exportation mondiale. La rupture s’est produite lors des combats entre les parties belligérantes du Soudan : les Forces de soutien rapide et les forces armées soudanaises.
La structure de paiement des recettes pétrolières impose aux compagnies pétrolières privées de revendiquer près de 60 % de la production, tandis que le Soudan voisin en prend également une part importante sur la base d’accords conclus lors de l’indépendance. Par conséquent, le Soudan du Sud ne perçoit des revenus que d’environ 45 000 barils sur une production quotidienne totale allant de 150 000 à 170 000 barils. C’est à partir de cette allocation limitée que le gouvernement finance 98 % du budget national.
Les rapatriés et les réfugiés posent un défi humanitaire
En outre, le retour de plus d’un million de Sud-Soudanais depuis la signature de l’accord de paix de 2018, ainsi que des milliers de réfugiés fuyant le conflit au Soudan, a encore accentué les défis humanitaires auxquels le jeune pays est confronté dans un contexte de difficultés économiques.
Cela inclut les Sud-Soudanais qui sont gravement touchés par le conflit en cours au Soudan depuis avril 2023. De plus, parallèlement à ce fardeau humanitaire, des milliers de Sud-Soudanais restent dans des camps de personnes déplacées à l’intérieur du pays en attendant un retour en toute sécurité dans leurs communautés.
Si le financement des élections constitue un défi, la véritable crise réside dans le profond manque de confiance entre les parties signataires de l’accord de paix.
Divisions entre les chefs politiques
Le président Salva Kiir et le premier vice-président Riek Machar, qui représentent les deux principaux partis en compétition lors de toute élection, partagent une histoire compliquée et une méfiance profonde l’un envers l’autre qui menace l’intégrité de l’ensemble du processus électoral.
Les deux hommes se sont affrontés et sont restés dans des camps opposés de temps à autre depuis 2013, ce qui a conduit à une guerre civile. Leur relation complexe menace désormais l’intégrité du processus électoral dans un contexte de craintes de tensions ethniques.
Des tâches cruciales telles que la formation et le déploiement de 33 000 agents de sécurité restent inachevées, ce qui met en péril la stabilité nationale. Assurer la sécurité des élections à l’échelle nationale est primordial ; cependant, l’absence de forces de sécurité nationales unifiées suscite des inquiétudes quant à la sécurité des électeurs.
Contrairement à d’autres pays africains sortant d’un conflit, comme la République démocratique du Congo, le Libéria et la Sierra Leone, où la communauté internationale a facilité les élections, la transition du Soudan du Sud dépend uniquement de son gouvernement de transition actuel, mandaté pour diriger le pays jusqu’en décembre 2024.
Malgré les défis politiques et sécuritaires du Soudan du Sud, des mesures immédiates peuvent faciliter des élections pacifiques. Un dialogue entre les dirigeants, un financement accéléré et des mécanismes de sécurité renforcés sont essentiels. Dans le même temps, les parties prenantes régionales et internationales peuvent être impliquées pour garantir un soutien financier solide et mener à bien des tâches essentielles. Si la rumeur d’une candidature commune entre Kiir et Machar se concrétise, elle pourrait potentiellement réunifier le pays et mettre le cap sur la stabilité.
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