Inspire middle east
Cette semaine, Inspire Middle East s’intéresse à la sécurité alimentaire aux Émirats arabes unis.
Dans un pays où il est difficile de cultiver à cause des conditions climatiques et de la pénurie d’eau, la Ministre de la sécurité alimentaire des Émirats fait le point sur la situation.
On estime qu’un tiers des denrées alimentaires produites dans le monde est en fait gaspillé. C’est là l’une des préoccupations majeures aux Émirats, à tous les stades de la chaîne d’approvisionnement.
Autre question urgente : comment garantir un accès suffisant aux aliments nutritifs ?
Comment nourrir une population en expansion ?
La consommation des Émiratis augmente chaque année de plus de 4% et la population devrait passer d’un peu plus de 9 millions actuellement à plus de 11 millions d’ici à 2030.
Combinée au climat désertique, à l’absence quasi-totale de pluie et à un approvisionnement en eau très limitée, la situation représente un défi de taille pour le gouvernement.
Voilà pourquoi les ministres émiratis ont décidé de lancer ce mois-ci une stratégie de sécurité alimentaire. Leur volonté : développer l’agriculture locale et les nouvelles technologies qui l’accompagnent.
La réduction des pertes alimentaires dans la chaîne d’approvisionnement et la lutte contre le gaspillage des consommateurs font également partie des priorités, l’objectif affiché étant de parvenir à 75% d’aliments recyclés d’ici trois ans.
Aux Émirats, les supermarchés regorgent de denrées non périssables et de produits frais provenant des côtes étrangères – les importations représentant environ 80 à 90%. Une dépendance qui rend le marché national vulnérable aux “chocs alimentaires”, les récoltes sont ici toujours incertaines et les prix fluctuent sans cesse.
Pour tenter d’inverser la tendance, le gouvernement assure qu’il s’efforcera de diversifier ses sources de nourriture dans les années à venir, tout en espérant améliorer l’apport nutritionnel quotidien pour ses habitants.
Afin de poursuivre cette ambitieuse mission, Mariam Bint Mohammed Saeed Hareb al-Mehairi a été nommée Ministre d’État à la sécurité alimentaire il y a moins d’un an. Elle a pris le temps d’évoquer avec nous les défis et les opportunités auxquels le pays est actuellement confronté.
L’entretien : Mariam al-Mehairi, Ministre de la sécurité alimentaire émiratie
Rebecca McLaughlin-Duane pour Inspire : Parlons d’abord de ces fameux “chocs alimentaires”. Où en sommes-nous aujourd’hui ? La majorité des volailles, par exemple, provient du Brésil, tout le riz vient d’Inde et du Pakistan. Est-ce qu’il existe des préoccupations géopolitiques ou autres à ce sujet aux Émirats arabes unis ?
Pour nous, il est très important d’établir des alliances avec d’autres pays et d’être en mesure de se procurer certains produits alimentaires qui, nous le savons, sont des aliments stratégiques. Cela réduit également le risque de pénurie car d’ici 2050, nous aurons besoin de 70% de nourriture en plus en moyenne, et nous devrons aussi faire face aux effets du changement climatique.
Diminuer les importations et produire plus de produits locaux, voilà une priorité clé pour le gouvernement. Est-ce que vous prévoyez également d’exporter les produits émiratis à un moment ?
J’espère que cela arrivera oui. L’idée est d’utiliser les technologies pour pouvoir développer l’agriculture dans un pays aride comme le nôtre. C’est le principal défi que nous devons surmonter. Mais je crois qu’une fois que nous aurons vraiment fait progresser la recherche et le développement dans ce domaine, nous pourrons commencer à exporter.
Mais comment faire pour être attractifs sur le prix ? Les produits locaux étant beaucoup plus chers que les produits importés d’Australie ou d’Europe.
Il faut s’en remettre au goût et à la conscience du consommateur. Par exemple, lorsqu’il goûte un morceau de chou frisé provenant d’une ferme locale par rapport à un produit importé, il peut réellement sentir la différence de fraîcheur. L’aliment est beaucoup plus nutritif lorsqu’il est cultivé à quelques minutes de chez soi que lorsqu’il a déjà fait le tour du monde…
Certains critiques pourraient dire que nous mangeons en trop grande quantité des aliments peu nutritifs. N’est-il pas de la responsabilité du gouvernement d‘étiqueter la nourriture pour que les gens soient bien informés ?
Absolument, l’une des orientations stratégiques consiste également à améliorer l’apport nutritionnel au sein de la population. Nous avons mis en place un système d‘étiquetage qui s’apparente à des feux de signalisation. On indique les sucres, les graisses, le sel, les calories… Lorsque vous avez une étiquette rouge, cela signifie : “Attention! Ne pas trop manger!” et l’étiquette verte indique qu’on peut en manger d’avantage.
Je voudrais aborder la question du gaspillage alimentaire. Quelle est la priorité du gouvernement en la matière ? Car cela ne concerne pas seulement le secteur de l’alimentation et des boissons, mais aussi celui de l’hôtellerie, n’est-ce pas ?
Regardons la situation dans son ensemble : le tiers des aliments produits dans le monde est gaspillé. Il s’agit donc d’une priorité absolue. Nous allons donc examiner des programmes visant à réduire le gaspillage alimentaire ou la perte de nourriture tout au long de la chaîne d’approvisionnement, ainsi que le gaspillage au niveau des consommateurs. C’est l’une des plus grandes priorités dans notre agenda.
En termes de recherche et développement, pouvez-vous me parler de ce que vous nommez la “Food Valley” ? C’est une première ? Quel est l’objectif ?
On s’inspire principale de la Silicon Valley des États-Unis, où les technologies de l’information et les start-ups informatiques deviennent des géants commerciaux. Nous voulons apporter cela aux Émirats en bâtissant une “Food Valley” dédiée aux technologies alimentaires. L’objectif est de devenir un centre de référence en la matière, pour toutes les régions qui souffrent de pénurie d’eau notamment. C’est un énorme défi.
Donc, vous recherchez des innovateurs, des entrepreneurs technologiques dans le domaine agricole. Comment les impliquer ?
Nous devons leur offrir le cadre dont ils ont besoin et des salaires attractifs. Nous avons également lancé un concours de fermes urbaines. C’est une manière de motiver les jeunes et les agriculteurs de la nouvelle génération à imaginer des manières de cultiver en système fermé, que ce soit en ville, en périphérie ou chez eux tout simplement. Nous leur donnons cette liberté de choix.
Les fermes verticales : une solution d’avenir ?
Alors que les Émirats tentent de réduire leur dépendance vis-à-vis des produits importés, des agriculteurs inventent des techniques innovantes pour cultiver dans le désert.
Amjad, un ingénieur agronome syrien, parvient à faire pousser des salades et des herbes aromatiques dans cet environnement hostile. Comment ? En utilisant un système de culture dit “hydroponique”, une méthode qui consiste à cultiver des plantes hors sol en utilisant une solution nutritive liquide.
L’eau réfrigérée traverse des tubes isolants pour nourrir les plantes comme cette laitue de Boston, cultivée dans un matériau fibreux constitué de pierres concassées appelé “laine de roche”. Cette laine retient l’eau comme une éponge, puis une fois utilisée, cette même eau s‘écoule pour être filtrée et réutilisée.
L’utilisation de ce système alternatif a permis à Amjad d‘économiser environ 90% de l’eau qu’il aurait utilisée en agriculture avec des méthodes traditionnelles. La culture hydroponique combinée à un champ de rotation verticale de l’agriculture -18 rangées, empilables et rotatives – lui a également permis d’économiser de l’espace. Il a ainsi pu s’installer plus proche de la ville et peut approvisionner les magasins plus rapidement, réduisant l’empreinte environnementale de sa ferme.
“La serre rotative que nous avons installée en 2005 est la première serre du genre dans tout le Moyen-Orient et la plus grande de toute la région. Si vous vouliez cultiver la même quantité dans la même zone avec l’agriculture traditionnelle, vous mettriez environ six fois plus de temps”, explique Amjad Alkhal.
La ferme Emirates Hydroponics s’étend sur deux hectares, soit la taille de deux terrains de rugby.
Amjad est en mesure de produire environ 500 000 plants de laitue – de 9 variétés différentes – et deux millions d’herbes aromatiques chaque année. Comme Amjad, de nombreux agriculteurs basés aux Émirats cultivent sur des “terres marginales”, ce qui signifie qu’ils ont une faible valeur agricole en raison de plusieurs facteurs : la pauvreté du sol, le manque d’eau douce et les températures élevées.
Cultiver avec de l’eau de mer
Et comme les Émirats sont de fait limités quant à la variété et à la quantité des cultures, le pays dépend fortement des importations en provenance des pays d’Amérique du Sud, d’Europe et d’Asie du Sud-Est.
Le Centre international d’agriculture biosaline explore des solutions locales pour tirer le meilleur parti des ressources rares comme l’eau douce.
“Si l’on considère l’eau de mer, nous sommes très riches en eau, nous avons beaucoup d’eau salée. Alors, comment pourrions-nous utiliser cette eau de mer pour cultiver ?”, souligne Ismahane Elouafi, directrice générale du centre de recherche.
Les plantes de quinoa et de moutarde font notamment partie des cultures tolérantes au sel et à la chaleur. Le centre de recherche utilise également une “aquaculture intégrée” afin d’utiliser les eaux souterraines naturellement salées jusqu’à la dernière goutte.
Cette eau est soit dessalée, le sel est enlevé pour produire de l’eau douce pour l’agriculture. Soit elle peut également être transformée en saumure – une eau salée hautement concentrée qui est utilisée pour élever le poisson.
Autre possibilité, différentes cuves d’eau salée sont enrichies avec les déchets des poissons et utilisées pour fertiliser des légumes comme ces sortes de haricots.
L’agriculture de précision est une autre tendance croissante dans la région.
“Le dattier a besoin d’environ 50 litres d’eau par jour en hiver et 150 litres en été. Mais si vous posez la question à un agriculteur, il vous dira qu’il arrose chaque arbre avec plus de 300 litres par jour, quelle que soit la période. L’agriculture de précision consiste à fournir des indications claires pour éviter les gestes inutiles”, développe Ismahane Elouafi.
Ce type de “culture intelligente” – où des drones avec capteurs sont utilisés pour mesurer l’humidité et l’hydratation de la plante – est appliqué de diverses manières aux Émirats. Le pays prévoit également de construire la plus grande ferme verticale au monde d’ici quelques mois.
Autre projet phare : celui de Masdar City, une cité écoresponsable construite dans le désert d’Abu Dhabi et dont l’investissement s’élève à 15 milliards de dollars. Des fermes intelligentes y seront testées avec toujours un même objectif : mieux conserver et mieux exploiter l’énergie et l’eau au sein du pays.
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