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"Indépendance cha cha" : la détresse des deux derniers musiciens encore en vie

"Indépendance cha cha" : la détresse des deux derniers musiciens encore en vie

République démocratique du Congo

Dimanche, la République démocratique du Congo a célébré le 59e anniversaire de son indépendance. Dans ce pays fou de musique, chaque fête du 30 juin se vit au rythme d’une chanson devenue l’hymne des espoirs vite déçus dans l’Afrique d’après 1960 : “Indépendance cha cha”.

Ce monument de l’histoire musicale du continent est l’oeuvre du groupe African Jazz de Joseph Kabasele, alias Grand Kallé, mort en 1983. Ses deux derniers musiciens encore en vie viennent d’interpeller le président de la République pour demander la “reconnaissance” de l’Etat congolais, accusé de les laisser vieillir et mourir dans l’oubli et le dénuement.

“Je ne chante pas très bien!”, prévient le seul sociétaire de l’African Jazz encore en bonne santé, l’ancien percussionniste Pierre Yantula Bobina, retrouvé et sollicité à son poste de chef de quartier de Lingwala, l’une des 24 communes de Kinshasa.

Il ne se fait pas davantage prier pour fredonner en lingala “Indépendance cha cha, tozuwi ye…” : “Indépendance cha cha, nous l’avons obtenue/Nous voici enfin libres /A la Table ronde, nous avons gagné /Vive l’indépendance que nous avons gagnée”.

Début 1960, Pierre Yantula, alias “Petit Pierre”, 18 ans à peine, est le benjamin des sept musiciens de l’African Jazz qui posent valises et instruments à Bruxelles.

Leur mission : accompagner et distraire la délégation congolaise qui négocie l’indépendance du Congo avec la puissance coloniale belge autour d’une “table ronde” conviée par le roi Baudouin.

Le nom des principaux leaders politiques est honoré dans la chanson : le futur premier président Joseph Kasavubu, son éphémère et légendaire Premier ministre, Patrice Lumumba, le Katangais Moïse Tshombé…

“Symbole de notre naïveté et de notre insouciance”

“Vous voyez que la politique marche ensemble avec la musique”, résume Petit-Pierre, formé aux rythmes afro-cubains et aux mélodies soignées des rumbas de l‘époque.

“Voyez l’importance de cette chanson!”, s’enflamme-t-il, croyant se souvenir qu’elle a été improvisée par Joseph Kabasele, alias Grand Kallé, sur quelques notes de guitare avant même l’ouverture de la table ronde. “Kallé a prophétisé la réussite de la table ronde. “Oh Kimpwanza cha-cha tubakidi”: l’indépendance que nous avons arrachée aux mains des Blancs! La chanson a stimulé les politiciens”.

Et plus encore, selon l‘écrivain Alain Mabanckou pour qui cette chanson est devenue un “hymne de l‘émancipation” en Afrique.

“Né six ans après ces indépendances, j’ai entendu ‘‘Indépendance cha-cha’‘ dans la plupart des bars congolais de notre quartier de Pointe-Noire”, se souvient le natif d’“en face”, le Congo-Brazzaville.

“Avec le temps, cette chanson est devenue le symbole de notre naïveté et de notre insouciance”, a écrit Mabanckou dans le journal français Libération en 2010.

“Les lumières trompeuses des indépendances sur le papier nous firent croire qu’il suffisait que le Blanc parte pour que le continent noir reprenne son vrai chemin”, selon ce grand dénonciateur des présidents africains qui s’accrochent au pouvoir au détriment de leur peuple, sur les bords du fleuve Congo comme ailleurs.

Dans une récente reprise d’“Indépendance cha cha”, sous-titrée “le jour d’après”, le chanteur belge d’origine congolaise Baloji énonce aussi les illusions perdues des “promesses de l’aube/ d’un Etat souverain/ où le sol se dérobe/ entre milices et rebelles/ pillages et recels”.

Droits d’auteur

À Kinshasa en 2019, c’est une autre sorte d’amertume qui étreint Petit-Pierre lorsqu’il arrive chez son ami Armando Brazzos dans le quartier de Bandalungwa.

À 86 ans, l’ancien bassiste est prostré sur le canapé dans le salon, malade, muet, absent, malgré l’arrivée inopinée de son ami. Il jette un regard inexpressif sur les photos d’archives étalées sur la table.

“Malheureusement, le pays ne s’occupe pas de notre papa”, déplore Bob Brazzos Mulema, 35 ans, l’un de ses fils.

À quelques jours des commémorations du 30-juin, Petit-Pierre a fait savoir à la presse qu’il avait envoyé une lettre au nouveau président Félix Tshisekedi déplorant cette “non-reconnaissance”.

“C’est en faveur de mon aîné qui est malade”, soupire Petit-Pierre, toujours en forme, lui, malgré une amputation du pied gauche dès 1963 à la suite d’un accident de la circulation qui a mis fin à sa carrière musicale.

Plus précisément, l’ex-maître de la conga revendique des “droits voisins” sur l’oeuvre de Grand Kallé, au bénéfice “des artistes qui ont joué à la table ronde”.
Petit-Pierre, 77 ans, ne vit pas dans l’abondance. “Je suis fonctionnaire de l’Etat.

J’attends ma retraite que l’on ne m’a pas encore donnée”, lance-t-il, avant de prendre un taxi, seul et claudiquant, anonyme dans de la foule de Kinshasa où la moitié de la population a moins de 20 ans.

Il promet de se battre jusqu’au bout, avec sans doute l’espoir d’accommoder un jour les paroles de Grand Kallé: “Reconnaissance, cha, cha…”.

AFP

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